Avril 2019
Château d’Argent
Réflexions
Les camps français de Schirmeck et du Struthof, après novembre 1944.
« Le site (du Struthof) devient un centre pénitentiaire du Ministère de la justice, accueillant des détenus suspects de collaboration et des droits communs ». (Wikipedia).
La réalité n’est en fait pas si simple que cela. Cinq pages sont consacrées à l’occupation française des camps de Schirmeck et du Struthof par l’historien Bernard Wittmann dans son ouvrage : Jean Keppi, 1888-1967, autonomiste, chrétien, antinazi (éd.Yoran, 2O14), pp.313 à 317.
Après la Libération, les camps de Schirmeck et du Struthof reprennent du service jusqu’en décembre 1945 sous direction française. Y furent enfermés sans jugement des collaborateurs, des autonomistes, avec femmes, enfants et vieillards : plus de sept mille personnes sans doute en un an, dont trois cents enfants en janvier 1945.
Une thèse a été soutenue en 2O12 par une historienne australienne, sur le journal d’une détenue, Anni Kraenker, native de Dieffenbach, qui raconte les sévices subis dans ces camps français par les prisonniers, dont certains sont morts de faim, de froid ou se sont suicidés. L’abbé Lucien Jenn, arrêté au presbytère de Bischoffsheim le 12 janvier 1945, est resté en détention un an, d’abord à Schirmeck puis au Struthof français ; il a écrit un mémoire de plusieurs centaines de pages. Il y décrit les « coups tortures, brutalités, jeux sadiques des gardiens (français), le travail forcé dans la neige et par un froid sibérien, les maladies (scarlatine, diphtérie), le manque d’hygiène et de nourriture, les violences sexuelles exercées sur des jeunes femmes livrées aux gardiens (certaines se suicideront), les internés dépouillés par les gardiens de leur argent, valises, chaussures, manteaux, montres, bijoux etc. » (op.cit. p. 314).
Continuons la citation des pages de Bernard Wittmann : « Le sadisme et la cruauté de certains gardiens semaient la terreur parmi les internés : les coups de cravache, de pied et de poing étaient le lot de nombreux internés. A cette brutalité constante venaient s’ajouter les traitements dégradants tels, par exemple, l’obligation (…) d’arracher avec leurs dents des clous pris dans des flaques d’urine gelée au sol. ». D’autres étaient contraints de « ramper sur le ventre, sur 19O m, se relever, se jeter à terre de nouveau, durant une heure et plus (…). Celui qui manifestait le moindre signe de fatigue se voyait bourré de coups de pied ; lorsqu’il essayait de se relever, c’était une grêle de coups de poing dans la figure. Les martyrs des premiers siècles chrétiens n’ont certainement pas été plus torturés » raconte un autre déporté, après novembre 1944. Certains internés étaient battus à mort.
Une institutrice raconte la mort d’un enfant de deux ou trois ans, une chaîne ininterrompue de morts, des prisonniers devant sucer de la glace pour s’hydrater, d’autres forcés de ramper dans la neige des heures durant, ou de porter de lourdes pierres au sommet d’une colline, les redescendre et les remonter ensuite, sous les coups et les insultes. Elle raconte comment on a forcé des détenus de recouvrir de neige, avec des pelles, un homme allongé sur le sol gelé (op.cit. p. 315).
C’était au point qu’une baraque où avaient lieu des sévices a été appelée « Schlaahüs » en alsacien (abattoir). Elle avait vu, écrit Anni Kraenker, beaucoup de tortures et de sang (op.cit. p. 315).
Les gardiens français s’en prenaient tout particulièrement à la dizaine de prêtres et pasteurs autonomistes, comme les abbés Brauner, qui mourra sous les sévices, Rauch (de Bergheim), Jenn (de Bischoffsheim).
« Pas un mot de ceci dans nos livres d’histoire, ni au Mémorial de l’Alsace-Moselle à Schirmeck », écrit B.Wittmann (p. 317).
Or, voici la question que je me pose :
J’ai visité le camp du Struthof en 1948 avec mes parents : j’avais trois ans. Mes parents ont terriblement insisté pour qu’on me laisse entrer et ont dit au portier : « C’est pour qu’elle n’oublie jamais ».
En effet, je n’ai jamais oublié ce que j’ai vu à l’intérieur : il y avait des baquets en pierre remplis de morceaux de chair dans un liquide, sans doute du formol. D’autres remplis d’os. D’autres remplis de cheveux ou de dents. J’ai vu le chevalet de torture plein de sang. Une table de dissection carrelée de blanc. Deux fours crématoires ouverts, avec des os calcinés, et devant, des crochets de boucher encore rouges de sang séché. On est allé aussi, plus bas, à la chambre à gaz.
On nous avait présenté ces choses comme étant des vestiges nazis. Mais comment se faisait-il qu’en 1948, ces vestiges étaient encore là ? Ils auraient normalement dû être enlevés par les occupants français, à la Libération, sans quoi ces derniers auraient été des milliers à devoir les côtoyer journellement pendant plus d’un an.
Ou alors, on a reconstitué tout cela, dans les années 1947, après la fermeture définitive du camp. Mais dans ce cas, après tout ce temps, ces vestiges pouvaient difficilement être authentiques. Où avait-on trouvé les monceaux de dents, de cheveux, d’os et de chairs, après l’occupation française ? Etait-ce une mise en scène ?
Ou alors, affreuse hypothèse - mais la vérité doit passer par-dessus la bien-pensance, le politiquement correct, et le scandale - les choses vues étaient des vestiges français.
Jusqu’où est allée la cruauté de l’épuration ? Jusqu’où est allée la cruauté de la guerre d’Algérie, lorsque l’on collectionnait les oreilles, et autre chose, dans des bocaux ? Et quand, d’après le témoignage d’un membre de ma famille, qui a fait vingt-huit mois en Algérie, on remplissait d’eau les fellouz prisonniers, jusqu’à ce qu’ils éclatent ?
La barbarie n’a pas de nation. La barbarie est humaine.
Sur notre site, nous avons prévu une rubrique de commentaires. Nous aimerions que des internautes nous donnent leur avis sur cette terrible et déstabilisante question.
Danielle Vincent
22 avril 2O19.
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