Musée du Chateau d'Argent

Journal juillet 2024

L A    V O I X    D A N S    L E    D E S E R T
 Mensuel gratuit du Château d’Argent 
N° 67   -    Juillet 2024
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Jean-Frédéric O B E R L I N
(1740  -  1826)
 
Les Archives municipales de Strasbourg et celles du musée Oberlin à Waldersbach conservent des manuscrits du pasteur Jean-Frédéric Oberlin en langue allemande ( 1 ).
 
On y trouve des réflexions sur sa propre biographie, sur le Ban de la Roche où se trouvait sa paroisse, sur ses pasteurs et paroissiens. Y figurent aussi huit cents sermons qui étaient autant de cours pédagogiques traitant de tous les domaines dont les habitants avaient besoin d’être instruits. Le souci permanent de celui qu’on avait appelé « Papa Oberlin », était d’élever le niveau de vie ainsi que le niveau culturel et spirituel des habitants de cette contrée isolée et défavorisée.
 
Jean-Frédéric Oberlin est né à Strasbourg le 31 août 1740 dans une famille qui comptera  neuf enfants :  sept garçons et deux filles ( 2 ).  Son père était précepteur au Gymnase protestant de Strasbourg  ( 3 ).  Il était agnostique ( 4 ).  C’est à sa mère que le jeune garçon devait son éducation religieuse.
 
Très tôt se révèleront en lui des tendances au mysticisme. Il se rattachera au Piétisme  ( 5 ).
Il aimait la musique, en particulier la musique militaire.  Il se dépeint comme tissé de contradictions, avec une mauvaise mémoire et des accès de colère  ( 6 ).
 
C’est à la suite d’une expérience mystique, elle-même suscitée par sa rencontre avec le pasteur Lorentz  ( 7 ) dont il va, avec sa mère, écouter les prédications, qu’il décide de faire des études de théologie et de devenir pasteur.
 
Il est nommé à la paroisse de Waldersbach le 30 mars 1767, à l’âge de 27 ans.
 
Il succède à Léopold-Georges Pelletier, chassé de sa paroisse quatre ans après y avoir été nommé, à cause d’une cabale montée conte lui  ( 8 ), à Pierre Rayot, le «méchant pasteur » ( 9 ), et à un « autre dépravé ».   Vient ensuite le pasteur Walter qui ne restera que deux ans,  puis
 «  des pasteurs alternativement bons ou mauvais ».
 
La situation se dégrade. En fin de compte, « la paroisse était complètement à l’abandon, presque personne ne savait lire et encore moins écrire, la Bible était pratiquement inconnue. La population ne connaissait que le patois et ne pouvait pas comprendre ses prédicateurs » (11).
 
C’est alors qu’une jeune fille de seize ans, Anne-Catherine Gagnère habitant Bellefosse, décide de prier avec ferveur pour que vienne un pasteur capable de redresser la situation.
 
En 1750, arrive le pasteur Jean-Georges Stuber, beau-frère de l’ancien pasteur Lorentz. Mais il ne reste que quatre ans au Ban de la Roche avant d’être nommé à Barr.  Son successeur, « un pasteur dépravé » se rend insupportable et le pasteur Stuber est rappelé en 1760.  Jean-Frédéric Oberlin avait  rencontré le pasteur Stuber à Strasbourg et lui vouait une grande amitié. C’est à lui que pense Stuber pour sa succession.
 
Oberlin avait reçu une formation théologique de premier plan. Il a donné une liste impressionnante des matières étudiées :  « Grec, hébreu, logique, rhétorique, métaphysique, arithmétique, géométrie, trigonométrie, physique, astronomie, géographie ancienne et moderne, histoire universelle, histoire philosophique ou étude des principaux systèmes des philosophes anciens et modernes, le droit naturel, les antiquités égyptiennes, grecques, romaines et hébreues (sic). Dogmatique, exégèse, histoire ecclésiastique, étude de la doctrine des différentes églises, études pastorales, étude journalière de la Bible », car « tout comme le pain accompagne tous nos autres aliments jusqu’à la fin de notre vie sur terre, de même l’étude de la parole de Dieu doit accompagner toutes nos autres études »  (12).
 
Le jeune homme arrive à Waldersbach le 20 mars 1767. Il a 27 ans. Il ne met pas longtemps à trouver une compagne, indispensable pour le soulager dans son travail pastoral, et épouse Marie-Salomé Witter le 6 juillet 1768. Le couple aura sept enfants.
 
Il n’a qu’une idée : partager avec ses fidèles le bagage culturel et spirituel qu’il amène avec lui dans cette contrée défavorisée. En plus de son épouse, il peut compter pour cette mission sur quelques femmes dévouées :  Sarah et Madeleine Banzet de Belmont qui, dès l’année 1769, prennent l’initiative d’organiser des réunions de tricot dans les maisons, en hiver autour du poêle, pour apprendre aux enfants à tricoter, mais aussi pour leur enseigner beaucoup de choses en bavardant et en répondant aux questions. Il s’agissait donc d’un enseignement général, dispensé autour d’une activité manuelle et dans un cadre domestique. Nous soulignons ceci comme pouvant être une option pour les méthodes d’éducation actuelles.
Sarah poursuivra cette activité jusqu’à sa mort, en avril 1774. Oberlin cite également Catherine Gagnière et Marie Bohy, mais avoue que les parents de ces jeunes filles faisaient obstacle et étaient difficiles à convaincre  ( 13).
Dès janvier 1785, les réunions autour du poêle à tricoter sont reprises par Louise Scheppler. Un jour par semaine, elle va même enseigner le tricot au presbytère de Rotrhau, chez le pasteur Kolb, à pied, « malgré les hautes neiges, le froid vif et les vents durs »  (14).
 
Arrive la Révolution française. Oberlin est écarté du service du culte par la Convention pendant un an, d’avril 1794 à janvier 1795. Il reprend alors son ministère à Waldersbach jusqu’à sa mort, le 1 juin 1826,  à 86 ans.
Sur sa tombe, au cimetière de son village, on peut lire : 
« J.F.Oberlin. Pasteur et père de cette paroisse pendant 59 ans. Né en 1740. Décédé en 1826.
‘La mémoire du juste sera en bénédiction’  (Proverbes 10/7) ».
 
Dans ses notes manuscrites et surtout dans ses prédications qui étaient autant de cours d’enseignement général, et dont huit cents ont été conservés (15),  sont exposées les idées du pasteur Oberlin sur l’éducation, la famille et en particulier les enfants ; sur la formation des adultes ; les écoles, l’enseignement des sciences naturelles et la vie des animaux, les loisirs, la rémunération des instituteurs, la création de bibliothèques de prêt, l’apprentissage des langues, l’importance des journaux (16), la femme-éducatrice, l’idée de l’école à la maison et de l’auto-apprentissage ; l’exemple qu’il a tiré de son voyage au Pays de Bade et de l’organisation des écoles de cette région ;  son souci de la formation continue des enseignants, l’apprentissage de l’écriture et du calcul, notamment pour les adultes ; l’institution des poêles à tricoter et le difficile recrutement des conductrices ; l’instruction comme jeu, l’enfant-enseignant inspiré de Jean-Jacques Rousseau ; les relations de compréhension et d’amitié avec l’Eglise catholique,  notamment avec l’abbé Grégoire ; l’étude psychologique des personnes selon leur physionomie et leurs expressions corporelles ; les leçons à tirer de la marche de l’histoire et des révolutions.
 
Nous  exposerons  les grandes lignes de la pensée et des innovations du pasteur Oberlin dans notre prochain mensuel.
 
D.V. 
N  O  T  E  S  : 
 
(1)        « Je suis Germain et Français tout ensemble » disait-il. Voir : Loîc Chalmel : Le Pasteur Oberlin. Collection : Pédagogues et pédagogies. Paris, Presses universitaires de France,  1999. Ici, p. 57.
Ancienne seigneurie administrée par le Burg zum Stein (Château de la Roche), le Steinthal (Ban de la Roche) en Alsace, était rattaché au Saint Empire romain  germanique jusqu’aux guerres de Louis XIV et à l’annexion française, actée par le traité de Westphalie de 1648.
La langue parlée dans cette région était le lorrain, formé du vosgien et de la langue welche.
Le Ban de la Roche comprenait déjà les communes de Belmont, Bellefosse, Fouday, La Haute-Goutte, Neuviller, Raingoutte, Rothau, Solbach, le Trouchy, Waldersbach et Wildersbach.
D’abord vendu en 1584 à Georges-Jean de Veldenz, seigneur de La Petite-Pierre, la seigneurie du Ban de la Roche fut offerte par Louis XV à l’intendant d’Alsace Nicolas Prosper d’Angervilliers.
Au moment où apparaît J.F.Oberlin (1740-1826), le Ban (c’est-à-dire la seigneurie) de la Roche était devenu la propriété du marquis de Ruffec, Armand Jean de Saint Simon, jusqu’en 1758, puis d’Antoine René de Voyer d’Argenson, marquis de Paulmy, membre de l’Académie française. La seigneurie est élevée au titre de comté en 1762.
En 1771, le comté du Ban de la Roche est acquis par le baron Jean de Dietrich, de religion protestante, futur maire de Strasbourg, jusqu’à la Révolution française.
 
(2)         Le  père de Jean-Frédéric : Jean-Georges Oberlin était né le 1er août 1701 à Strasbourg, et décéda le 6 mars 1770 à Schiltigheim.
Il épousa Marie-Madeleine Feltz (1718-1787) le 22 avril 1733 à Strasbourg.
Le couple eut 9 enfants,  7 garçons et 2 filles. Trois d’entre eux étaient morts en bas âge : Georges-Henri à 6 ans,  Jean-Georges à 9 ans, Charles-Louis à 10 ans.
 
Georges-Henri (1734-1740),
 
Jacques (1735-1806),
Marie-Madeleine (1737-1806),
Jean-Georges (1738-1747),
Jean-Frédéric (1740-1826),
Chrétien-Henri (1742-1765),
Charles-Louis (1746-1756),
Christine-Elizabeth (1749-1772),
François-Henri (1757- ?). 
 
(3)         Jean-Georges Oberlin, le père, était professeur au Gymnase de Strasbourg.
En 1538, une Ecole protestante humaniste fut fondée par le Magistrat de la ville impériale libre de Strasbourg, sur l’initiative du réformateur et humaniste Jean Sturm (1507-1589). D’autres écoles latines et allemandes avaient été ouvertes par le magistrat strasbourgeois, ainsi qu’une école française pour les réfugiés. 
L’Ecole protestante faisait suite au Collegium praedicatorum créé par Martin Bucer et Ambroise Blaurer  dans l’ancien couvent des Dominicains.
La nouvelle école  devint une école centrale pour toute la ville  grâce à l’arrivée à Strasbourg, le 14  janvier 1537 de Jean Sturm, professeur de rhétorique et de dialectique au Collège de France.
Le nouveau Gymnasium est inauguré à Pâques 1539 sous le nom de Schola Argentoratensis.
Il comporte 9 classes et Jean Sturm en est nommé recteur à vie. Son idéal était de fonder la spiritualité sur le savoir et la transmission du savoir par l’éloquence :  « Sapientem atque eloquentem pietatem finem esse studiorum ».
En 1621, la création de l’université de Strasbourg fait que  le Gymnasium devient un simple collège préparant l’accès à l’enseignement universitaire,  les professores publici étant réservés à l’université, et les praeceptores classici au Gymnase protestant.
Une réorganisation complète intervient au dix-huitième siècle : en 1738  l’enseignement de l’allemand et en 1751 celui du français, viennent s’ajouter au latin et au grec classique.  
Par contre, jusqu’à la fin du 18e siècle, les matières scientifiques seront passablement négligées de même que l’histoire et la géographie.   C’est probablement ce qui explique l’insistance du pasteur Oberlin sur ces matières, jusque dans ses prédications.  Alors qu’en 1738 l’histoire n’occupait qu’une heure par semaine,  en 1778 elle en occupe sept. A partir de la même année viennent s’ajouter la géométrie et les sciences naturelles.  Il n’est pas interdit de penser que ce fut sur l’exemple et sous l’influence  du pasteur de Waldersbach.
 
(4)      « Mon père, un homme attiré par le spirituel, un honnête homme, droit, dévoué, intelligent, mais qui ne connaissait ni Jésus ni la nouvelle naissance… »  (Lettre à la Convention des prédicateurs de Herrnhut, 1807. L.Chalmel, op.cit. p. 50).
 
(5)        « Dès mon enfance, j’ai eu une aspiration dominante pour une vie plus élevée que celle de la terre, et j’ai éprouvé le désir de mourir » (Portatrit offert au Rév ?Francis Cuningham, 1820.  Op.cit. p. 50).
 
(6)        Op.cit. p. 57.
 
(7)        Lettre à la Convention des prédicateurs de Herrnhut, 1807. Op.cit. p.52.
 
 
 
(8)         Op.cit. p. 53. Nous exposerons le phénomène du Piétisme et celui des Frères moraves dans le prochain numéro de La Voix.
 
(9)        Ce « méchant pasteur » est resté dans cette paroisse de 1712 à 1723 : onze ans quand même !
 
(10)       Il avait officié de 1723 à 1726.  Le musée Oberlin pourra peut-être nous dire de qui il s’agit, pour le prochain numéro de ce mensuel.
 
(11)       Oberlin lui-même avoue ne jamais avoir su comprendre le patois :  « Le patois, que je ne comprends pas, est en fait la langue maternelle des gens d’ici et au début de mon ministère j’ai parfois dû me faire accompagner d’un instituteur comme interprète au chevet des malades. Mais voilà longtemps que ce n’est plus utile. Chacun comprend le français »  (Lettre à la Convention des prédicateurs, 2 mai 1808.  Op.cit. p. 83).
 
(12)       Dans : Les études des pasteurs protestants ou catholiques-évangéliques. Annales du Ban de la Roche, 15 juillet 1820.
 
(13)        Op.cit. p. 101-102 :  Musée Oberlin : Annales du Ban de la Roche, 1771.
 
(14)       Sources de réflexions, sujets de prières, actions de grâces ou tableau chronologique  des événements qui m’intéressent. Archives municipales de Strasbourg, 206 II, p. 43-52. Ici, pour l’année 1785. Cité dans Loïc Chalmel, op.cit. p.59 : textes.
 
(15)        Op.cit. p. 16.
 
(16)        « Lire les gazettes…dans un temps si riche en grands événements, c’est lire quasi les œuvres de Dieu »  (op.cit.p.85). 
 
D.V.
L A    P H R A S E    D U     M O I S : 
 
« Pour occuper en même temps les mains, les institutrices leur apprenaient le tricotage (...). Puis elles les amusaient par des jeux qui donnaient de l’exercice au corps (…). Dans les beaux jours, on les menait à la promenade. Là les enfants cueillaient des plantes et les conductrices les leur nommaient et leur faisaient répéter les noms. Toutes ces instructions avaient l’air d’un jeu, d’un amusement continuel ». 
                                            (J.F.Oberlin :  Lettre au président de la Convention, 9 Vendémiaire an III).
 
                                                              Château d’Argent :   transmettre le savoir.
 
Editions du Château d’Argent, 185 rue de Lattre de Tassigny, 68160 Ste Marie-aux-Mines.
Directrice de publication : Danielle Vincent.
Mise en page et impression : Zapa Informatique.
ISSN :  2650-67225.
Dépôt légal :  3e trimestre 2024.