Musée du Chateau d'Argent

Journal octobre 2022

Mensuel du Château dArgent - N° 45 - Octobre 2022
 
SIGMUND FREUD : A u t o p r é s e n t a t i o n. 
( Selbstdarstellung, 1925 ) 
 
S.Freud: Oeuvres complètes, Presses Universitaires de France, volume XVII, p. 52 – 122.
Gesammelte Werke, Bd. XIV, S. 33- 96. 
 
Nous avions d’abord projeté de consacrer nos études, dans ces derniers mensuels, à l’œuvre de Freud, jusqu’à l’anniversaire de sa mort, au mois de septembre.
Mais comment abandonner une telle pensée ? C’est toujours, semble-t-il, en cours de route que l’on quitte cette œuvre. Chaque ligne de cette vingtaine de volumes est une interpellation et une piste pour l’avancée humaine.
Voici, à présent, son autoprésentation, celle de sa vie et de son œuvre jusqu’en 1925.
 
Cet essai fait suite à deux autres autoprésentations que Freud avait produites, l’une en 1909 sous la forme de cinq leçons données à la Clark University de Worcester (Massassuchets) (1) ; l’autre en 1914, dans le Jahrbuch der Psychoanalyse: « Sur l’ Histoire du mouvement psychanalytique », qui esquisse les lignes essentielles de son Autoprésentation de 1925.
 
Il essaie de trouver, dans cette dernière, un équilibre entre la présentation subjective de sa biographie, et l’exposé objectif de son œuvre, bien que l’une soit inséparable de l’autre. C’est pourquoi, ici, des pans entiers d’explications psychanalytiques s’insèrent dans l’histoire de sa vie.
 
Freud écrit qu’il est né le 6 mai 1856 à Freiberg en Moravie. C’était la Tchécoslovaquie de ces années 1925 (2). Ses parents étaient juifs, « et je suis moi-même resté juif » (3). Sa famille paternelle a longtemps vécu au bord du Rhin, à Cologne. A la suite d’une persécution des Juifs aux IXe et XVe siècles, elle a fui vers l’Est, en Lituanie. Au cours du XIXe siècle, elle est revenue dans la partie allemande de l’Autriche.
L’enfant a quatre ans quand il arrive à Vienne, où il est scolarisé. Il est excellent élève, toujours le premier de sa classe. Sa famille était alors très pauvre, mais a toujours laissé le jeune garçon libre de ses choix.
Pendant longtemps, cependant, le jeune Sigmund ne sait pas quelle est sa voie. Il avoue qu’il n’était pas particulièrement attiré par la carrière médicale et ne l’a d’ailleurs jamais été.
Tout ce qui l’intéressait, c’était la connaissance, le savoir, surtout concernant les « choses humaines ».
On est étonné de lire que c’est l’Histoire biblique qui l’a occupé « à peine avais-je appris à lire » et a été déterminante pour son orientation : « Le fait de me plonger précocement dans lhistoire biblique, à peine avais-je appris lart de lire, a déterminé de façon persistante, comme je le reconnus beaucoup plus tard, lorientation de mon intérêt » (4)
Il se lie d’amitié avec un camarade, Heinrich Braun, de deux ans son aîné, qui est passionné de droit et d’action sociale, et va exercer une grande influence sur lui.
Pourtant, une autre passion se fait jour déjà pour les sciences de la nature, et notamment les théories de Charles Darwin (5).
A la fin de ses études secondaires, sous l’influence d’un texte poétique de Goethe : l’Hymne à la Nature (6). Sigmund décide de s’inscrire en Faculté de médecine. On est en 1873.
Le fait d’être Juif ne lui avait posé jusque-là aucun problème, semble-t-il. A l’université, il en est autrement. On le considère comme inférieur, ce qu’il récuse évidemment avec force : « Je nai jamais compris pourquoi jaurais dû avoir honte de mon ascendance ou, comme on commençait à dire, de ma race » (7). Son entourage universitaire va même plus loin en prétendant qu’il n’a pas sa place dans la société. Et curieusement, cela, il l’accepte et lui est indifférent. Humblement, il pense trouver une petite place quand même « dans le cadre du genre humain ». Voilà qui a été précieux pour sa formation d’esprit : « Une conséquence importante pour plus tard de ces premières impressions à luniversité, fut que je me familiarisai si précocement avec le sort dêtre dans lopposition et dêtre mis au ban de la majorité compacte. Une certaine indépendance de jugement fut ainsi préparée » (8).
Ses premières années de Fac sont décevantes aussi parce qu’il a de la peine à réussir dans les différentes matières enseignées : « La particularité et létroitesse de mes dons me refusaient tout succès en plusieurs disciplines scientifiques dans lesquelles je métais précipité » (9).
En fait, il ne s’intéresse pas aux disciplines médicales.
Cependant, il trouve une insertion au laboratoire de physiologie d’Ernst Wilhelm von Brücke, directeur de l’Institut de Physiologie de Vienne (10).
On constate, à la lecture de ces pages, que le jeune Freud souffre à l’époque d’un grand sentiment d’infériorité. Il se sent honoré, comme d’une aumône, de l’amitié qu’on lui témoigne. Les humiliations dont il était victime dans le milieu universitaire n’y étaient évidemment pas étrangères.
A présent, ce sont des travaux sur le système nerveux qui l’occupent en priorité et il y réussit parfaitement.
Il restera dans l’Institut du Docteur Brücke six ans, de 1876 à 1882.
Bien qu’ayant suivi ses études de médecine avec nonchalance, comme il dit, Freud est promu docteur en médecine en 1881. Il n’a que vingt cinq ans. Son professeur l’encourage à quitter la recherche en laboratoire pour un travail pratique à l’hôpital.
Interne à l’Hôpital général de Vienne, il continue cependant ses recherches sur le système nerveux : la moelle épinière des poissons, puis le système nerveux humain et notamment la formation des gaines de myéline. Il entre à l’Institut d’anatomie du cerveau.
Son professeur lui conseille de se consacrer exclusivement à l’anatomie du cerveau et, souhaitant partir à la retraite, lui propose même de le remplacer. Mais Freud laisse passer la chance de sa vie et refuse, toujours à cause du sentiment de ne pas être à la hauteur de la tâche.
Il veut continuer à se consacrer à la recherche et commence l’étude des maladies nerveuses.
Il a donc fait le chemin suivant : médecine générale, étude spéciale de la moelle épinière, du système nerveux, du cerveau, et enfin des maladies nerveuses.
L’étude des maladies nerveuses était encore, à Vienne, un secteur peu développé : « Il ny avait pas de bonne occasion de se former, il fallait être son propre professeur » (11). Le jeune chercheur réussit à faire nombre d’autopsies et les résultats de ses analyses commencent à lui faire une renommée, même Outre-Atlantique.
Une fois cependant, il se trompe en attribuant à la méningite un mal de tête dû à une affection nerveuse. Il provoque ainsi la désaffection de son entourage, mais une telle confusion n’était pas exceptionnelle dans les milieux médicaux viennois, où des tumeurs cérébrales étaient souvent confondues avec de la neurasthénie.
A l’automne de 1885, ayant obtenu une bourse de voyage, Freud s’en va à Paris comme élève à la Salpétrière auprès du docteur Jean-Martin Charcot (12), dont il devient le traducteur pour l’allemand. Comprenant bien le français, mais ayant encore des difficultés à le parler, il tisse des liens privilégiés avec la France, mais qui, au bout de quarante ans vont se détériorer. En cause, « la violente rébellion de lEcole française contre ladmission de la psychanalyse » . On accuse Freud d’avoir volé les idées du professeur Janet (13). Néanmoins, le contact avec Charcot lui avait permis d’enrichir sa connaissance de l’hystérie, et Freud comprend pourquoi, à Vienne, on attribuait la paralysie et d’autres maux divers à des traumatismes subis, alors qu’ils relevaient en fait de l’hystérie, aussi chez les hommes - et c’est une trouvaille de notre auteur (14).
Freud reste un an à Paris, et revient à Vienne après avoir fait un crochet par Berlin. Il s’établit dans la capitale autrichienne comme neurologue, et se marie (15).
Aux laboratoires Merck de Darmstadt, il se procure de la cocaïne pour en étudier les effets. Ses recherches servent, dans un premier temps, aux expériences d’ophtalmologie du Docteur Karl Koller (16).
Les conférences qu’il fait sur ce qu’il avait appris auprès de Charcot à Paris sont mal reçues, et le milieu médical de Vienne fait même obstruction aux expériences de Freud : « Limpression que les grandes autorités avaient rejeté mes nouveautés resta inébranlée ; avec lhystérie masculine et la production de paralysies hystériques par suggestion, je me trouvai repoussé dans lopposition » (17). On lui refuse ensuite l’accès du laboratoire d’anatomie du cerveau et il ne dispose plus d’aucun local pour donner ses cours : « Je me retirai alors de la vie universitaire et associative » (18). Nous sommes dans les années 1887.
Dans son cabinet médical, il soigne les malades à l’électrothérapie et à l’hypnose.
A cette occasion, il met en échec les conclusions du « premier nom de la neuropathologie allemande », le professeur Paul Julius Möbius, neurologue à Leipzig (19) : « Comprendre que lœuvre du premier nom de la neuropathologie allemande navait pas plus de relation à la réalité quun livre des rêves égyptien, cela fut douloureux, mais maida à démolir un nouveau pan de cette naïve croyance en lautorité dont je nétais pas encore affranchi » (20).
Il passe outre les préjugés concernant l’hypnose. Pour lui, ce n’est pas du charlatanisme. A Paris, le traitement par l’hypnose l’avait convaincu : « Javais vu quon se servait sans hésiter de lhypnose comme dune méthode faite pour créer et ensuite supprimer des symptômes chez les malades » (21). Il y avait, à Nancy, une nouvelle école qui utilisait la suggestion à des fins thérapeutiques, avec ou sans hypnose.
Dans les premières années de son activité médicale, la suggestion par l’hypnose était devenue, pour Freud, le premier instrument de travail.
On voit donc que, dès avant la fin du XIXe siècle, Freud, qui n’avait pas quarante cinq ans, s’était déjà fait pas mal d’ennemis, et avait pris ses distances avec les traditions et les plus grandes autorités médicales. Un long chemin d’originalité et d’indépendance était entamé.
 
Avec l’hypnose, il se heurte à plusieurs obstacles :
Certains malades étaient insensibles à l’hypnose. Celle-ci n’était d’ailleurs jamais assez profonde. Les malades étaient sujets à des rechutes régulières.
Freud entreprend la traduction en allemand des deux livres d’Hippolyte Bernheim sur la suggestion et l’hypnotisme (22).
En collaboration avec le docteur Oskar Rie (23), il publie en 1891 son premier ouvrage : Les études cliniques sur la paralysie hémilatérale cérébrale des enfants (24).
 
La deuxième partie de l’Autoprésentation traite des utilisations de l’hypnose en psychothérapie (25).
L’auteur parle de son amitié avec Breuer (26), ainsi que de l’indifférence de Charcot aux causes et symptômes de l’hystérie. Par exemple, une jeune fille hystérique et paralysée, avait, sous hypnose, révélé de suite la cause de ses symptômes, alors qu’elle ne s’en souvenait absolument pas en état de conscience. Sa paralysie provenait de la répression à plusieurs reprises d’une pensée ou d’une impulsion : « Le symptôme était le résultat de la somme de nombreuses situations analogues » (27). Et de conclure que « Lhypnose avait rendu au traitement cathartique des services extraordinaires en élargissant le champ de conscience des patients et en mettant à leur disposition un savoir dont ils ne disposaient pas en état de veille » (28).
 
Dans la troisième partie, Freud expose comment il a remplacé l’hypnose par une investigation de la conscience à l’état de veille. Voici les débuts de la psychanalyse : « Je nommai le procédé dinvestigation et de guérison non plus catharsis, mais psychanalyse » (29).
Un de ses amis, en effet, le Dr Bernheim, lui avait prouvé que, si les souvenirs ne réapparaissent pas au réveil de l’hypnose, ils ne sont cependant pas oubliés et peuvent revenir à la conscience à l’issue d’une entretien bien mené.
Freud opte alors pour l’investigation consciente, toujours pratiquée, comme l’hypnose, sur le divan (30).
Il constate que ce qui a été oublié est toujours pénible ou effrayant, douloureux ou humiliant. Et voici pour lui l’occasion d’expliquer tout le processus du refoulement de souvenirs traumatiques, et de la remise en conscience qui conduit à la guérison.
Cette Autoprésentation est donc aussi celle de sa pensée.
Alors le concept d’ « inconscient » devient essentiel pour l’étude des refoulements causant la maladie : « La psychanalyse fut contrainte, par létude des refoulements pathogènes et dautres phénomènes encore, de prendre le concept d inconscient au sérieux. Pour elle, tout ce qui est psychique était dabord inconscient. Certes, on se  heurtait sur ce point aux philosophes, pour qui conscient et psychique étaient identiques, et qui ne pouvaient se représenter une monstruosité comme lanimique inconscient » (31).
Veut-on caractériser la pensée de Freud, ce ne doit pas être par le principe de la sexualité, bien qu’il ait trouvé celui-ci au fond de toutes les pathologies psychiques. Avoir fait par ses nombreuses expériences médicales le lien entre hystérie, neurasthénie et sexualité lui avait, dit-il, « coûté sa réputation de médecin » (32).
Mais en réalité, la pensée de Freud se concentre autour de linconscient : car le lien entre la sexualité malade et la névrose se trouve profondément enfoui dans ce quon ne sait pas ou ce quon refuse de savoir ; et ceci est gardé dans ces profondeurs, empêché par le gendarme du sur-moi de remonter, dêtre mis au jour, identifié, explicité et soigné.
Et c’est dans la période la plus reculée de l’enfance et de ses rapports souvent fantasmés aux parents, que se trouvent les blocages aux pulsions primitives, restées dans l’oubli, et occasionnant plus tard la névrose. Ceci était une nouveauté insupportable pour l’esprit contemporain, « en contradiction avec lun des plus forts préjugés des êtres humains  (33). Peu dacquis de la recherche psychanalytique ont connu une récusation aussi générale, et provoqué une telle explosion dindignation que laffirmation selon laquelle la fonction sexuelle commence dès le début de la vie. Et pourtant aucune autre découverte analytique ne se laisse aussi aisément et complètement démontrer » (34).
Freud vient donc de tisser les quatre fils principaux et révolutionnaires de sa trame : l’enfance, la sexualité, le refoulement et, le plus important : l’inconscient (35).
 
« Les doctrines de la résistance et du refoulement, de linconscient, de la vie sexuelle et de lenfance sont les principaux constituants de lédifice doctrinal psychanalytique » (36).
Cette quatrième partie va décrire les modifications qu’a connues le processus de la psychanalyse.
On a d’abord demandé au patient de parler d’un thème déterminé. Mais on a découvert ensuite que  « la libre association » : dire tout ce qui vient à l’esprit, était plus parlante et permettait mieux « d amener à la conscience le matériel refoulé et tenu à distance par les résistances » (37).
La résistance se manifeste de deux manières : par des critiques du patient contre les règles de la psychanalyse, et par la relativisation ou le déguisement du refoulé. Ceci oblige le médecin à interpréter ce qui lui est raconté.
Un facteur essentiel du traitement est la prise en compte du transfert. Il est inévitable, quel que soit le cas : « Dans chaque traitement analytique sinstaure, sans lintervention du médecin, une intense relation de sentiment du patient à la personne de lanalyste » (38). Une analyse sans transfert est impossible : c’est lui qui fait apparaître tout l’inconscient morbide en ce sens que le malade, lors du transfert, «  revit des relations de sentiment qui sont issues de ses investissements dobjet les plus précoces, de la période refoulée de son enfance » (39). Le transfert devient donc « le meilleur instrument de la cure psychanalytique ».
La découverte d’un autre outil est, de façon révolutionnaire, linterprétation des rêves (40). Nous y consacrerons notre prochaine étape, à partir du mois de novembre.
Les actes manqués, les trous noirs et oublis de toutes sortes, sont d’autres pistes à suivre pour découvrir la vérité. Freud en parle dans sa Psychopathologie de la vie quotidienne, en 19O4 (41).
 
La cinquième partie expose le déroulement chaotique des relations de l’auteur avec ses amis et les milieux de la psychanalyse.
Freud est mis partout à l’écart et se brouille avec Breuer, son ami le plus proche : « A Vienne on mévitait, létranger mignorait. Je me trouvais totalement isolé » (42). Même ce qui aurait dû être un best-seller, L’Interprétation du rêve (1900) reste ignoré. On disait qu’il ne valait pas la peine de lire L’Histoire du Mouvement psychanalytique (1914) : « Si la phase que nous avons vécue trouve un jour son historiographe, celui-ci devra bien admettre que le comportement de ses représentants dalors nétait pas à la gloire de la science allemande ». Et il ajoute : « A cette dose dorgueil et de dédain sans scrupule, à la grossièreté et la vulgarité des attaques, il ny a aucune excuse » (43).
Se sentant réprouvé en Europe, Freud s’en va, en 1909, pour un court séjour aux Etats-Unis. Il va donner des conférences à la Clark University de Worcester (44). C’est, pour lui, un grand réconfort : « En Europe, je me sentais comme réprouvé ; ici, je me voyais accueilli par les meilleurs comme quelquun dégale valeur. Ce fut comme la réalisation dun rêve » (45).
En Europe, il devait composer avec deux autres pointures de la psychanalyse : Karl Gustav Jung et Alfred Adler : le premier relativisait le facteur sexuel et le complexe d’Œdipe ; le second donnait comme premier moteur aux actes humains, la volonté de puissance (46).
La première guerre mondiale eut un impact plutôt positif sur l’œuvre de Freud : elle avait aiguisé en Allemagne et ailleurs l’intérêt pour cette nouvelle science, les rescapés de la guerre en proie à des troubles psychiques nécessitant des traitements d’urgence. Il se créa même des centres psychanalytiques pour les névrosés de guerre (47).
D’après Freud, l’histoire de la psychanalyse s’était, en fait, déroulée en deux périodes : la première, de 1895 à 1907 environ, où il se trouvait seul et avait tout à construire lui-même ; la seconde, où son œuvre avait été continuée et développée par ses élèves et ses disciples.
Il fait le constat que la psychologie des profondeurs est, en réalité, la psychologie normale de la vie : « Il en avait été pour nous comme pour les chimistes : les grandes diversités qualitatives des produits se ramenaient à des modifications quantitatives dans les rapportes de combinaison des mêmes éléments » (48).
 
Le sixième chapitre de l’Autoprésentation parle de « lentrée de la psychanalyse dans cette France longtemps réfractaire ». Les milieux français, « dune incroyable candeur » et toujours attachés à la forme, ont fait à Freud des critiques sur la lourdeur et la pédanterie de ses expressions (49). Le génie latin et sa délicatesse ne supportaient pas les tournures et la manière de penser du psychanalyste allemand. Celui-ci éveillait en France surtout un intérêt extra médical, pour les domaines de la littérature, de l’art, de l’histoire des religions, mythologie, ethnologie ou pédagogie, « toutes ces choses (qui) ont peu à voir avec la médecine et ne lui sont justement connectées que par lintermédiaire de la psychanalyse » (50).
Ici, l’auteur explique de nouveau l’importance qu’a revêtue, pour sa science, le complexe dŒdipe, comme dans les pages précédentes il avait insisté sur la théorie des pulsions, du refoulement, de la distinction entre le « moi » et le « ça ». Ici, rien d’artistique ni de poétique, mais au contraire le peut-être choquant « principe de réalité » : le plaisir de contempler un œuvre d’art peut ainsi être gâché par la compréhension analytique de celle-ci (51).
Le même désenchantement menace la religion. Celle-ci est formée de «  légendes-souhaits », car toute légende exprime une nostalgie humaine. La religion essaie de réaliser les souhaits maladifs des hommes. Freud avait trouvé, dès 1907, une troublante ressemblance entre névrose, doctrine et pratique religieuse. « Je caractérisai la névrose comme une religion privée distordue, et la religion comme une névrose universelle » (52).
Ceci est corroboré par l’investigation des coutumes tribales primitives, centrées sur le totem et le tabou. La conclusion en est que la formation de la religion « est placée sur le terrain du complexe paternel et sur son ambivalence », le substitut paternel prenant les formes de l’animal-totem ou de la divinité elle-même, et le substitut du remords après le meurtre du père par les fils, se perpétuant sous la forme de l’acte expiatoire qu’est le sacrifice du fils et la communion eucharistique chrétienne (53).
Actuellement, conclut l’auteur, la psychanalyse qui désignait à l’origine « un procédé thérapeutique déterminé », est maintenant devenue le nom d’une science : celle de l’inconscient de l’âme. « Elle paraît appelée à fournir des contributions importantes aux domaines du savoir les plus divers » (54).
 
« Aussi puis-je dire, en regardant rétrospectivement lœuvre fragmentaire du travail de ma vie, que jai engagé toutes sortes de commencements et prodigué de nombreuses incitations dont il doit sortir quelque chose dans lavenir. Je ne peux moi-même savoir si cela sera beaucoup ou peu. Mais il mest permis de formuler lespoir que jaie ouvert la voie dun progrès important dans notre connaissance » (55).D.V. 
 
N O T E S  :
 
( 1 ) Paru en anglais dans l’American Journal of Psychology, 1910.
 
( 2 ) La première république tchécoslovaque avait vu le jour le 28 octobre 1918, à la suite du démantèlement de l’empire austro-hongrois, et conformément au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, promulgué par le traité de St Germain-en- Laye du 10 septembre 1919.
A côté des peuples majoritaires (Tchèques, Slovaques et Rusyns) se trouvaient des minorités allemandes, hongroises, polonaises, juives germanophones, et tziganes. On comptait 1,3 % de juifs germanophones. Freud verra encore les accords de Munich (septembre 1938) et l’occupation par l’Allemagne du territoire des Sudètes.
 
( 3 ) S. Freud : Œuvres complètes, PUF, vol. XVII, p. 56.
 
( 4 ) p. 56.
 
( 5 ) Charles Robert Darwin  est né le 12 février 1809 à Maison Mount au Royaume-Uni, et mort le 19 avril 1882.
Parmi ses ouvrages il faut retenir : L’Origine des espèces (1859) - L’expression des émotions chez l’homme et les animaux (1872) - Autobiographie (1887).
Sa thèse était que « toutes les espèces vivantes ont évolué au cours du temps à partir d’un seul ou quelques ancêtres communs. Cette évolution était due au processus de sélection naturelle » (Wikipédia).
 
( 6 ) Le poème de Goethe a paru en 1782 ou 1783.
 
( 7 ) p. 57.
 
( 8 ) p. 57.
 
( 9 ) p. 57.
 
(10) Ernst-Wilhelm von Brücke  est né le 6 juin 1819 à Berlin, et mort le 7 janvier 1892 à Vienne. Il est l’un des fondateurs de l’anatomie microscopique (ou histologie) et de la physiologie. Médecin, physiologiste et psychiatre, il a enseigné aux universités de Berlin, Koenigsberg et Vienne.
 
(11) p. 59.
 
(12) Jean Martin Charcot  est né à Paris le 29 novembre 1825 et mort dans la Nièvre le 16 août 1893. Neurologue, professeur à la Faculté de médecine de Paris, il a découvert la Sclérose latérale amyolotrophique (maladie neurodégénérative). A l’aide de ses travaux sur l’hypnose et l’hystérie, il a prouvé en provoquant des névroses expérimentales, que l’extase mystique, la possession et la « grande hystérie » sont une même chose, ce qui a sans doute influencé Freud dans sa critique de la religion.
On lui doit : Les Leçons cliniques sur les maladies des vieillards et les maladies chroniques (1874) - Leçons sur les maladies du système nerveux (1885 – 1887) - La foi qui guérit (1897).
 
(13) Jean-Pierre Janet : philosophe, psychologue et médecin, il est né à Paris le 30 mai 1859, et mort également à Paris le 27 février 1947. Il est vu comme « la figure majeure de la psychologie française au XIXe siècle » (Wikipédia), et tenait une chaire de Psychologie expérimentale et comparée au Collège de France, de 1902 à 1934.
Notons parmi ses œuvres : L’Automatisme psychologique (1889) - L’Etat mental des hystériques (2 vol., 1893, 1894) - Névroses et Idées fixes (2 vol., 1898) - Les Obsessions et la Psychasthénie (2 vol., 1903) - Les Névroses (1909) - La Médecine psychologique (1923) - De l’Angoisse à l’Extase. Etude sur les croyances et les sentiments (2 vol., 1926, 1928) - L’Evolution psychologique de la personnalité (1929) - L’Amour et la Haine (1932).
 
(14) Voir p. ex. OC vol I , pp. 19, 42-44, 47-48, 50-52, 55, 106, 144, 413-414.
 
(15) Freud épouse Martha Bernays, née le 26 juillet 1861 à Hambourg, et décédée le 2 novembre 1951 à Londres. Elle était de famille juive et est devenue médecin. Son grand’père paternel était grand rabbin à Hambourg. Freud et Martha se connaissaient depuis quatre ans déjà et se marièrent le 14 septembre 1886 à Hambourg. Ils ont eu six enfants.
 
(16) Karl Koller  est né le 3 décembre 1857 en Bohème, et mort le 11 mars 1944 à New York. Cet ophtalmologue autrichien avait commencé à utiliser la cocaïne pour les opérations des yeux.
 
(17) p. 63.
 
(18) p. 63.
 
(19) Paul Julius Moebius est né le 24 janvier 1853 à Leipzig et mort le 8 janvier 1907 également dans cette ville. Médecin neurologue, il a découvert une anomalie congénitale rare en 1884, appelée le Syndrome de Moebius. En 1888, il a donné la définition suivante de l’hystérie : « Sont hystériques toutes les manifestations pathologiques causées par des représentations », suggestions et autosuggestions : par exemple le fait de se représenter un bras paralysé, entraînant alors une paralysie.
Son livre de 1900 : De la débilité mentale physiologique chez la femme, est caractéristique de la misogynie de l’époque ; cet ouvrage avait été fort bien accueilli et a connu huit éditions, de 1900 à 1906.
De Moebius, retenons aussi : Sur les maladies nerveuses héréditaires (1879) - Le système nerveux des humains ( 1880) - Les maladies nerveuses (1882) - De la débilité mentale physiologique des femmes (1900) - Contribution à la théorie des différences entre les sexes ( 1903 - 1904).
 
(20) p. 64.
 
(21) p.64.
 
(22) Hippolyte Bernheim est né à Mulhouse le 17 avril 1840 et mort à Paris le 2 février 1919. Il a enseigné à l’université de Strasbourg, puis à Nancy à partir de 1871. Professeur de médecine et neurologue, il s’est intéressé aux travaux sur l’hypnose du docteur Ambroise Liébault (1882) et a fondé l’Ecole de Nancy, appelée « Ecole de la Suggestion ». Il a fait des expériences qui ont ébranlé les théories de Charcot : pour Bernheim, l’hypnose est un simple sommeil thérapeutique produit par la suggestion, alors que pour Charcot elle est un état pathologique. Bernheim a influencé Freud en estimant que les effets de l’hypnose peuvent aussi être obtenus à l’état de veille.
Parmi ses écrits : De la suggestion et de son application thérapeutique (1887) - De la suggestion dans l’état hypnotique et dans l’état de veille ( 1884). - Hypnotisme, suggestion, psychothérapie, études nouvelles ( 1891) - Automatisme et suggestion (1917) - L’Hystérie : définition et conception, pathogénie, traitement (1913).
 
(23) Oskar Rieh: Pédiatre né le 8 décembre 1863 à Vienne, mort le 17 septembre 1931 dans cette ville.
 
(24) cf. OC vol. III, p. 195-196.
 
(25) « Sonder le malade sur la genèse de son symptôme » (p. 66)
 
(26) Josef Breuer, médecin et physiologiste,  est né à Vienne le 15 janvier 1842 et mort également là, le 25 juin 1925. S’intéressant à l’hystérie, il soigne Bertha Pappenheim sous le pseudonyme d’Anna O. Cette expérience influence Freud dont il fait la connaissance fin 1870. Breuer était arrivé à soigner Anna O., atteinte de paralysie, d’hallucinations et de troubles de la vision, par la narration sous hypnose d’événements traumatiques du passé. Ce qui fut à l’origine de la méthode cathartique ou « talking cure ». Cependant sa thérapie s’était révélée inefficace après les rechutes régulières d’Anna O.
 
(27) p. 68.
 
(28) p. 75.
 
(29) p. 77.
 
(30) p. 76.
 
(31) p. 78.
 
(32) p. 72.
 
(33) p. 80.
 
(34) p. 81.
 
(35) p. 80.
 
(36) p. 86.
 
(37) p. 87.
 
(38) p. 88.
 
(39) p. 89.
 
(40) p. 90.
 
(41) OC vol. V, p. 73 – 376.
 
(42) p. 94.
 
(43) p. 96. L’Interprétation du Rêve (1899 – 1900) : OC vol. IV en entier (751 p.)
Contribution à l’Histoire du mouvement psychanalytique : OC vol. XII, p. 249 – 315.
 
(44) p. 98.
 
(45) p. 99.
 
(46) Karl Gustav Jung : Voir La Voix…n° 41, note 42.
 
Alfred Adler  est né le 7 février 1870 à Rudolfsheim près de Vienne, et mort le 28 mai 1937 à Aberdeen en Ecosse. De famille juive, il fait sa médecine à l’université de Vienne et s’installe comme ophtalmologue dans cette ville. Il épouse en 1897, à Moscou, Raissa Timoeyevna Epstein, engagée dans les combats sociaux. Adler est sensibilisé à ces problèmes et se tourne surtout vers une clientèle pauvre.
Différemment de Freud, Adler ne pense pas que l’individu est commandé par ses instincts mais qu’il est libre. En 1911, il rompt avec Freud et avec la Société psychanalytique de Vienne. Son idée directrice est que tout se passe, dans la psychologie humaine, par compensation. Il voit un lien entre la déficience organique et sa compensation corporelle et psychique. La dynamique qui conduit l’être humain et compense sa faiblesse est la « volonté de puissance ». Adler estime aussi que chaque patient est unique et prône une psychologie de la vie réelle, accessible à tous, s’efforçant de comprendre les autres dans leurs particularités et leurs différences. Il décrit sa doctrine comme « Psychologie individuelle ».
Il fonde en 1914 lInternationale Zeitschrift für individual Psychologie.
Adler est médecin militaire pendant la première guerre mondiale. En 1920 il est nommé directeur de la première clinique viennoise consacrée à la psychologie de l’Enfant.
Il rencontre beaucoup d’intérêt outre-Atlantique par sa psychologie optimiste de la personne. En 1934, fuyant le nazisme, il va s’établir aux Etats-Unis.
On lui doit notamment:
-Der Sinn des Lebens (1909) - Uber den nervösen Charakter (1911) - Heilen und bilden: Erziehungskunst für Artzte und Pädagogen (1913) - Die andere Seite. Eine massenpsychologische Studie über die Schuld des Volkes (1913).
 
(47) p. 101.
 
(48) p. 103.
 
(49) p. 109.
 
(50) p. 110.
 
(51) p. 113.
 
(52) p. 114. Il n’y a pas d’autre dimension pour Freud que la matérialité. C’est le matérialisme absolu du scientifique. La spiritualité est, à ses yeux, du domaine de la névrose.
 
(53) p. 116. Nous avons dit précédemment, que ces renvois aux coutumes des tribus primitives étaient plutôt de l’ordre de la fantaisie (cf. La Voix…n° 42, note 1) . Que Freud y fasse remonter le repas de communion des chrétiens paraît un peu court…
 
(54) p. 118.
 
(55) p. 119. 
L A   P H R A S E   D U   M O I S  : 
 
« La Psychanalyse paraît appelée à fournir des contributions importantes aux domaines de savoir les plus divers » . (p. 118).  
 
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