Musée du Chateau d'Argent

Journal novembre 2023

Mensuel du Château d’Argent - N°   59   -  Novembre 2023 

 

Jalons pour une compréhension  du Christianisme 

à la lumière du Judaïsme  ( 1 ).

 Il était audacieux d’inscrire au programme d’histoire d’une Faculté de Théologie protestante : « L’Histoire des Juifs aux temps modernes » ( 2 ).  Il pouvait sembler qu’un  tel sujet n’avait rien à voir avec l’histoire de l’Eglise. Mais l’intérêt de ce cours a été de démontrer le contraire.  Face à l’ignorance trop répandue des chrétiens en la matière  ( 3 ), il nous est apparu, à la suite de F.Lovsky et d’autres auteurs contemporains  ( 4 ), que l’histoire juive est un domaine que tout chrétien a le devoir de connaître, parce qu’elle est à la fois mère et jumelle de la sienne  ( 5 ).  Une Faculté de Théologie a certainement la tâche de l’enseigner.  Nous pensons même qu’à l’avenir il sera difficile, dans une telle Faculté, de se passer d’une chaire de Judaîsme.  Nous sommes de plus en plus convaincus  que la véritable compréhension du Christianisme ne peut être donnée qu’à partir d’un éclairage juif, et qu’une interprétation adéquate des sources chrétiennes, de même qu’une prédication fidèle  de l’Evangile doivent être issues d’une connaissance approfondie de la tradition rabbinique  ( 6 ).
Le rabbi Jésus de Nazareth ne peut être compris vraiment qu’en référence au cadre juif qui était le sien  ( 7 ).
Il n’est pas si banal de le dire, car la tendance majeure du Christianisme, depuis ses origines, a été de présenter à ses fidèles un Jésus déraciné.  Comme le démontre F.Lovsky dans un chapitre de son  ouvrage :  La déchirure de l’absence ( 8 ), il semble bien qu’à l’heure actuelle ni le Christianisme, ni son mouvement œcuménique ne puissent encore se concevoir en dehors du Judaîsme.  Cette source paraît être la seule qui lui permette de se repenser et – paradoxalement – de retrouver son identité.  Longtemps tabou, le Judaïsme pourrait devenir pour nous un agent d’autocompréhension et d’unité confessionnelle. De sacrifice aussi :  car il se pourrait que bien des dogmes finissent par se révéler fantaisistes, quand on aura réalisé qu’ils sont issus de cette ignorance.
 
En suivant l’exemple de J.Jeremias  ( 9 ),  on a tout lieu de penser, en effet,  que le sens véritable des paroles et des actes de Jésus doit être cherché dans la pensée juive de son temps.
Redécouvrir ce sens, aujourd’hui, n’est pas seulement la tâche de l’exégète et du théologien biblique, mais aussi du dogmaticien :  alors que, jusqu’ici, on a lu l’Ancien Testament à la lumière du Christ, il faudrait maintenant lire le Christ à la lumière de la Bible hébraïque.     Toute recherche dogmatique sur le sens du message chrétien nous paraît condamnée à l’erreur ou au non-sens, si elle omet de tenir comte de cet éclairage dans sa tâche de cerner le « vouloir dire » de Jésus.
 
Il arrive, en effet, à la lecture d’ouvrages sur le Judaïsme, que Jésus s’impose à notre esprit comme  le symbole  du peuple d’Israël, du peuple Fils de Dieu et Messie, de l’Israël rejeté, persécuté à mort, mais toujours ressuscitant et présent  ( 10 ).  Selon toute vraisemblance, le principal message de Jésus a voulu être un message sur son peuple :    son identité et sa vocation particulière,   ses relations avec Dieu et les nations,  son destin.  Jésus a pu se concevoir comme l’image prophétique, donc incarnée, vécue, de la condition de l’Israël de tous les temps.  Prophétisant par ses actes et son existence même, comme tous les prophètes juifs, il a vécu et illustré l’être propre de son peuple. Quelques décennies avant la destruction du Temple, et une vingtaine de siècles avant les pogroms nazis, le Crucifié du Golgotha, rappelant le Serviteur souffrant du Psaume 22,  livrait un témoignage prophétique sur l’avenir dramatique du Judaïsme.  Il y a fort à parier que toute l’existence de Jésus s’est volontairement centrée autour de la préoccupation d’être, pour Israël,  le prophète-type, cristallisant sur sa personne toutes les caractéristiques parfois estompées du peuple élu.
Si cette hypothèse, déjà avancée par plusieurs auteurs, se vérifie un jour grâce au travail des exégètes,  il faudra en conclure que seule une connaissance exacte du Judaïsme peut nous aider à réinterpréter le message de Jésus.
 
Nous en donnerons quelques exemples : ils nous sont apparus en lisant l’ouvrage de R.Aron, V.Malka et A.Néher, mentionné ci-dessus.
 
A propos de la conception juive du temps et de l’histoire, d’abord, qui ont une autre signification que pour la pensée gréco-latine :   « Pour celle-ci (la pensée gréco-latine), le passé, le présent, l’avenir ne se confondent pas :  chacun de ces trois domaines est séparé des deux autres par des limites précises. Le chemin de l’un à l’autre est une voie à sens unique que l’on ne rebrousse jamais. Pour le Juif, il en est tout autrement. Célébrer un fait, c’est le vivre et le revivre. Plutôt, c’est le ressusciter.  Honorer un disparu, c’est le faire réapparaître, c’est lui redonner la présence parmi les vivants. La commémoration juive est essentiellement une reconstitution »  ( 11 ).
Soyons attentifs à l’importance de ces lignes pour une nouvelle  interprétation de ce que Jésus voulait dire en instituant la Cène, et en parlant de sa résurrection.  La « commémoration » (au sens juif) du corps et du sang (c'est-à-dire de la personne et de la vie de Jésus) les rendra présents, les ressuscitera auprès des disciples.  L’idée de « présence réelle » serait donc à interpréter en liaison avec la conception juive de l’histoire et du souvenir, et, par extension, avec la conception juive du culte, qui est une actualisation du passé.   Jésus ne donnait probablement pas d’autre sens à ses paroles d’institution que le sens juif, mais l’Eglise les a interprétées  dans le sens gréco-latin qui n’était pas le leur.
Robert Aron poursuit :  « Pour Israêl, l’histoire que l’on vit et revit, ce n’est pas la matérialité des faits, mais leur signification »  ( 12).  Sur le plan chrétien, on pourra dire alors que célébrer la Cène ne consiste pas à matérialiser de nouveau, par voie miraculeuse, le Christ en chair et sang véritables, mais à communier à leur signification,  et rendre ainsi le Christ présent avec tout ce qu’il implique, à savoir la condition dramatique du Peuple élu  (notons que le pain azyme symbolise, en effet, la nourriture des persécutés)  (13).   A travers Jésus, ce serait donc, en réalité, au peuple d’Israël que le chrétien communierait.
 
Autre exemple :  la conception juive de la Création.  Cette interprétation nous permet de donner un contenu tout autre à l’Incarnation.  Pour le Judaïsme, la création du monde, la mise en place de l’histoire humaine,  tout cela est déjà une incarnation de Dieu,  une implication, une insertion d’Adonaï  dans les catégories du temps et de l’espace ( 14 ).  L’idée de l’incarnation divine est présente dans la pensée juive bien avant l’apparition du Christianisme, mais dans un sens particulier.  Le dogme de la Parole faite chair devrait être compris  à la manière juive comme présence historique et existentielle de Dieu à la créature  (Jésus étant alors l’être symbolique, le « type » de cette présence),  et non à la manière  gréco-latine qui a influencé les Pères des premiers conciles oecuméniques.
 
Et voici qu’en poursuivant notre quête, nous relevons d’autres côtés encore du Judaïsme :
Le Juif est celui qui se veut à la charnière du transcendant et de l’immanent, de l’éternité et du temps  ( 15 ).  Il a vocation de médiateur.  Juif-type, Jésus incarnerait alors le peuple-médiateur,  d’abord pour rappeler à Israël la mission universelle qui est la sienne, ensuite pour proclamer celle-ci aux nations.  En appelant l’attention sur lui, ce serait en fait au peuple que Jésus renverrait.
 
L’idée de médiation se retrouve dans celle de Justice :   le Juste est celui qui tend à devenir le fondement du monde, le restaurateur du bon ordre des choses. Il cherche à transformer le mal en bien et à diriger la création déchue vers la rédemption  ( 16 ).  Le Tsadiq n’est donc pas avant tout celui qui est sans péché, ni celui à qui Dieu n’impute pas le péché, mais celui qui répare, fait échec au mal et rend les choses conformes à leur norme  ( 17 ).  C’est dans ce sens que Jésus devrait alors être considéré  comme le « Juste » qui  incarne l’espérance messianique des hommes. Du même coup, la notion de Justification chrétienne peut être repensée et définie non plus essentiellement dans un rapport au péché  (le problème : « Justification par la foi ou Justification par les œuvres »  serait alors un faux problème), mais dans l’optique d’une collaboration de l’homme à l’œuvre du Créateur,  niée par la Réforme,  mais très bien vue dans la  pensée catholique.
 
Jésus peut être compris aussi comme la personnification du « petit  reste », ou du « reste-qui-revient »  déjà annoncé par le nom donné au fils d’Esaïe :  Schéar-Jaschoub  (Es 7/3 ; 10/22).  Le reste, c’est le rescapé de la crise,  de la grande tribulation,  celui qui subsiste à travers la mort, envers et contre tout  (lakèn),  « celui qui casse l’impossible, perce les cloisonnements du temps et efface les distances »  (18 ).
 
La théologie du Reste  renvoie à celle de la graine, de la semence.  Israël doit être la graine minuscule,  mélangée à la terre, mourant puis germant, et multipliant à l’infini. Il est probable que les paroles de Jésus sur le grain de sénevé qui devient un grand arbre, soient des allusions au destin paradoxal de son peuple  (Mt 13/31-32 ; Mc 4/30-34 ; Lc 13/18-21).
 
C’est dans une perspective analogue qu’il faudrait situer la compréhension chrétienne de la Loi.  La Loi, pour un Juif, est la composante essentielle de la participation à l’Alliance  (19).
Elle n’est pas comprise comme un impératif despotique, mais comme une invitation, un appel bienveillant à la vie  (Dt 30/19).  L’étymologie dérivée de torah est :  chemin, voie, mise sur la route, enfantement  ( 20).  Le sens à donner au concept de loi serait donc plutôt celui      d’aiguillage   vers la vie, de prélude au bonheur,  de transition entre le chaos et la création bien ordonnée.  Si l’on rapproche cette étymologie de la parole de Jésus : « Je suis le chemin, la vérité et la vie »  (Jn 14/6), on peut sans difficulté la comprendre ainsi :  « Je suis la Torah »,  ce qui s’accorderait avec le passage du Sermon sur la montagne, où Jésus affirme qu’il est l’accomplissement de la loi  (Mt 5/17-19). Dés lors, ses propres paroles ne veulent être autre chose que l’expression de la Torah  ( 21 ). 
Voilà qui aurait l’avantage d’effacer la dichotomie certainement artificielle et fausse entre Loi et Grâce, justification par les œuvres de la loi et justification par la grâce de la foi. Pour Jésus comme pour le Judaïsme,  la Torah n’est rien d’autre qu’une loi de grâce, qu’un chemin de salut. A cette conclusion parvient aussi Edmond Jacob  ( 22 ).  Une nouvelle possibilité de dialogue interconfessionnel pourrait donc s’ouvrir sur ce thème grâce à l’apport de la pensée juive.
La Torah étant une prière que Dieu adresse à l’homme, elle demande une réponse, et suppose que le partenaire humain est un homme libre, capable d’accepter ou de refuser le conseil que Dieu lui adresse, ce qui donne raison là-aussi à la théologie catholique.  Avec la Torah, l’homme est placé devant un choix, et il est entièrement responsable de sa décision. La loi apparaît alors comme un pari de Dieu sur la capacité de réponse de l’homme  -  au même titre que la création, en particulier celle du genre humain, était un pari de Dieu.  Il est donc très probable que Jésus se soit adressé, en tant que Torah personnifiée, à des hommes qu’il supposait libres et responsables de leurs actes, et capables de bien faire.  Toute idée de prédestination ou de fatalisme du péché est alors absente, et semble plus paulinienne que christique.
 
Lorsque la réponse humaine  à l’interpellation divine est positive, la loi apparaît comme l’expression même de l’Alliance, de la bonne nouvelle du salut.  Donc la Torah est l’expression même de l’Evangile  ( 23 ).  Elle devient « la révélation de Dieu à ceux qui sont dans l’alliance »  ( 24 ).  Elle est d’ailleurs toujours énoncée après le rappel de l’élection et de l’alliance  (cf. Ex 19/4 ss).  Ce qui fait que grâce, alliance, loi et obéissance deviennent pratiquement synonymes et s’impliquent mutuellement.  Elles sont aussi liées à la notion de Révélation, car la mention : « Je suis l’Eternel » est un leitmotiv dans les textes législatifs.  La résonnance apodictique de la loi est la conséquence de sa résonnance paraclétique  ( 25 ).
Si, après l’exil et au temps de Jésus,  le légalisme a pris une ampleur extraordinaire, c’est parce que, de par sa relation avec l’Alliance,  la loi devenait la condition de restauration de l’Alliance  ( 26 ),  et par extension, la condition de survie du peuple. 
Il faut donc retenir de ceci, qu’il n’y a pas, pour le Juif ni pour Jésus, d’antithèse entre loi et grâce :  la vénération de la loi n’est pas ressentie comme un joug pesant mais comme une joie  ( 27 ).  Là où elle est écrasante, elle n’est plus la vraie loi, mais une hypertrophie de celle-ci. C’est contre cette outrance, et non contre la loi que  Jésus s’est dressé.  En disant : « Venez à moi car mon joug est léger »  (Mt 11/28-30),  il n’a pas voulu placer en face de la loi un régime de grâce, mais a voulu montrer que la vraie loi est un régime de grâce.
L’opposition que  l’apôtre Paul et  la Réforme   ont cru bon d’établir par la suite entre les deux régimes  nous semble donc sujette à caution et provient, à notre avis, d’une mauvaise compréhension de la pensée de Jésus, elle-même issue de  l’ostracisme dont les communautés pauliniennes avaient frappé la pensée rabbinique.  Car en y regardant de près, il semble bien que Jésus ait voulu être avant tout le commentaire vivant des Ecritures et en particulier de la loi juive.
 
Une autre réflexion nous est venue à propos de la description des objets du culte juif  ( 28 ).
Lors des offices solennels, les rouleaux de la Torah, enveloppés dans un tissu brodé,  sont portés à travers le lieu de culte,  et les assistants se lèvent et tendent leur châle de prière  (tallith) vers l’étoffe qui recouvre la Torah.  Ceci n’est pas sans rappeler l’épisode de la femme malade (Mt 9/20-22) qui cherchait à toucher la tunique de Jésus et plaçait son espoir de guérison dans ce seul contact vestimentaire.   Récit à dominante symbolique ?  Il pourrait signifier que Jésus était considéré comme la personnification de la Torah.
 
A ce propos, si nous examinons la racine du mot « tallith », à savoir « tallah », verbe qui veut dire « accrocher » ou « pendre », et en particulier «pendre à une croix »,  nous obtenons un rapprochement tout à fait intéressant avec l’histoire de la Passion :  le corps de Jésus aurait pu être compris symboliquement par les évangélistes, ou plus probablement encore par Jésus lui-même et certains spectateurs, comme le vêtement de prière déployé sur la croix, c’est- à –dire comme  l’incarnation même de la prière. 
Mais comme le tallith ne se conçoit pas sans relation avec la loi, nous pourrions avoir en Jésus crucifié le symbole de la prière exaltant la loi.
La ressemblance entre le corps crucifié de Jésus et le tallith est encore plus frappante par l’existence, aux quatre coins de ce vêtement, d’un cordon coloré  (on pense ici aux quatre plaies du crucifié),  dont la contemplation  doit rappeler la mise en pratique des Commandements  (Nb 15/38-41).  Même la couronne d’épines pourrait symboliser  le haut du tallith, appelé « atarah » (diadème), spécialement rehaussé de broderies argentées  ( 29 ).
Etre enveloppé par le tallith de la tête aux pieds, c’est être enveloppé de la sainteté des Commandements, et c’est aussi le signe de la soumission totale  à la volonté de Dieu  ( 30 ).
Il n’est pas impossible que Jésus ait voulu donner à son corps la charge symbolique du tallith déployé à tous les regards et rappelant à la fois les Commandements de la Torah et son entière soumission à ceux-ci. En tout cas, l’attitude de Jésus est bien celle du Juif en prière, qui ne prie pas seulement du fond de l’âme, mais avec tout son corps  ( 31 ),  les bras levés vers le  ciel, comme Moïse à la bataille contre Amalek (Ex 17/8 ss)  -  attitude à laquelle est liée la victoire sur l’ennemi.  Non seulement Jésus apparaît alors comme le grand Orant qui arrache la victoire, mais encore comme celui qui prie en union avec la Torah, donc comme son interprète,  son porte-parole.  Toute concurrence entre Jésus et la Loi, entre le crucifié et la religion juive serait donc abolie ici,  et pourrait l’avoir été déjà dans l’intention de Jésus lui-même.  Il n’est pas évident que les Evangélistes aient saisi (ou consenti à saisir) ce message-là de Jésus.  Dans leur souci de se démarquer par rapport à la Synagogue,  ils ont pu rester sourds à certaines intentions manifestées de façon parabolique par  leur maître.
 
Nous avons voulu montrer, à l’aide de ces quelques exemples  -  et combien y en aurait-il d’autres encore !  - qu’il ne nous paraît plus possible d’interpréter l’enseignement et la personne du Christ autrement qu’à l’aide du Judaïsme.
Un grand travail exégétique reste à faire, pour connaître l’intention  qui a présidé aux paroles et aux actes de Jésus :  dépasser le texte grec du Nouveau Testament, et chercher quels termes araméens il a traduits ;  quel était, à l’époque de Jésus, le sens de ces expressions araméennes.
Il faudrait aussi dépasser le message des Evangélistes, et surtout celui de St Paulpour les distinguer du message de Jésus, dans la mesure où ils l’ont mal compris.
Une toute autre conception de l’Ecriture sainte apparaîtrait alors :  la Parole de Dieu en Jésus se situerait derrière le texte,  dans l’intention, derrière le « dire », dans le « vouloir dire » ;  les témoignages de seconde main, comme le sont ceux des Evangélistes et de St Paul, seraient relativisés au profit d’autres critères d’interprétation plus fiables de la pensée de Jésus, que sont les écrits rabbiniques de son temps.  Enfin, la distinction entre « Ancien » et « Nouveau » Testament se révèlerait artificielle, et l’on parlerait plutôt, comme le souhaite A.Lacocque, d’un seul Canon en deux parties ou, comme nous le souhaiterions encore davantage, de l’ancien Canon prolongé.
Ce serait aussi un Jésus assez différent qui, sous toutes ces couches rédactionnelles, pourrait être restitué :  moins (ou pas) révolutionnaire par rapport à sa religion, moins novateur et dissident qu’il ne paraissait (bien que fort incompris, comme tous les prophètes), mais au contraire animé du désir d’être la parabole vivante du Peuple de Dieu, le restaurateur du dessein divin à son égard pour le salut des  hommes .
C’est ainsi que l’avaient compris les tout premiers : Marie de Nazareth, Zacharie et Siméon  (Lc 1/47-55, 67-79 ; 2/28-32).
                                                                                                             Danielle Vincent-Fischer.
 
Ce texte a paru dans la revue Foi et Vie  (21e Cahier d’Etudes Juives) :  A l’écoute d’Israêl (Vol. 84 n° 1-2, janvier 1985)  pp.  79 – 87.
 
 N O T E S :
 En bibliographie citée ici :
R.ARON, V.MALKA, A.NEHER : Le Judaîsme, hier, demain. Paris, 1977.
F.MUSSNER :  Traité sur les Juifs  (traduit de l’allemand par Robert Givord). Paris, 1981.
R.RENDTORFF et E.STEGEMANN (éd.) :  Auschwitz. Krise der christlichen Theologie. Eine Vortragsreihe. München, 1980.
A.LACOQUE :  But as for me. The Question of Election in the Life of God’s People today. Atlanta, 1979.
Cl.THOMA:  Christliche Theologie des Judentums. Aschaffenburg, 1978.
G.VERMES :  Jésus le Juif. Paris, 1978.
F.LOVSKY :  La déchirure de l’absence. Paris, 1971.
J.JEREMIAS :  Jérusalem au temps de Jésus.  Paris, 1923.
R.NEHER-BERNHEIM : Histoire juive de la Renaissance à nos jours.  4 vol. Paris, 1971.
E JACOB :  Théologie de l’Ancien Testament. Neuchâtel, 1968.
A.NEHER : L’Essence du Prophétisme. Paris, 1955.
G.SIEGWALT :  La Loi, chemin du salut. Neuchâtel, 1971.
 
 ( 1 )     Nous nous inspirerons en particulier de l’ouvrage de Robert ARON, Victor MALKA et André NEHER :  Le judaïsme, hier, demain.  Paris, 1977.
 
( 2 )      Cours de 2e cycle donné à la Faculté de Théologie protestante de Montpellier en 1983, par D. Fischer.
 
( 3 )      « Histoire vraiment passionnante, d’abord parce qu’elle est mal connue des juifs eux-mêmes, et bien plus encore des non-Juifs, chrétiens ou libres-penseurs.  Jusqu’où va cette ignorance, on a peine à l’imaginer ; lorsqu’on la découvre incidemment, cela donne le vertige. Or, ignorance et malveillance vont de compagnie, ont étroitement partie liée. L’ignorance est une des bases les plus solides de l’antisémitisme »   ( Jules ISAAC, préface de l’ouvrage de Renée NEHER-BERNHEIM :  Histoire juive de la Renaissance à nos jours. 4 vol. Paris, 1971, p. 3 ).
 
( 4 )     Cf en particulier :  F.LOVSKY :  Le racisme et l’antisémitisme. Dans : La Revue réformée, 1982/33 n° 129, pp. 20-33.  Voir aussi le bilan du dialogue judéo-chrétien  effectué par Edmond JACOB dans RHPR (Revue d’Histoire et de Philosophie religieuses), 1983 n° 3, pp. 311 – 322.
 
( 5 )      E.JACOB écrit (op.cit. p. 314):  « Le Christianisme est à tel point enraciné dans le Judaïsme, que la connaissance de ce dernier est indispensable à la théologie chrétienne… Israël et l’Eglise doivent se considérer ensemble comme le peuple de Dieu dont l’histoire est une et unique ». 
 
( 6 )       E. JACOB, op.cit. :  « Auschwitz et Vatican II... ont posé des interrogations qui obligent l’Eglise et la théologie à un renouvellement de l’intelligence et à une conversion des esprits » (p. 311).   « … Nous nous trouvons à un tournant (et) il faudra déboucher sur un troisième stade (après l’opposition et le côte à côte), celui d’une solidarité active entre Juifs et Chrétiens »  (p. 314).
 
( 7 )       E.JACOB, op.cit. à propos du livre de F.MUSSNER : « Il est impossible de parler des Juifs sans se sentir directement concerné et interpellé sur  notre authenticité chrétienne » (p. 316).  Et, à propos du livre de Cl. THOMA :  « La littérature talmudique et midrashique constituent non seulement une précieuse source d’information, mais peuvent aider la théologie chrétienne à repenser le rapport de l’Ecriture et de la tradition »  (p. 314).
« Il s’agit de prendre conscience de l’être juif de Jésus », dit encore l’auteur  (op.cit. p. 315).
 
( 8 )      F.LOVSKY :  Israël,  pivot de l’œcuménisme. Dans :  La déchirure de l’absence. Paris, 1971, p. 231 ss.
 
( 9 )       J.JEREMIAS, dont la préoccupation fondamentale a été, dés les première parutions, de redécouvrir le milieu juif de Jésus afin de réinterpréter ses paroles et ses actes en  liaison étroite avec celui-ci.
 
( 10 )      C’est aussi la thèse d’A.LACOQUE et de F.MUSSNER.
 
( 11 )      R.ARON & a. : op.cit. p. 72.
 
( 12 )      op.cit. p. 81.
 
( 13 )      op.cit. p. 79.
 
( 14 )      op.cit. pp.10-11.  F.MUSSNER aussi met l’accent sur un Dieu vétérotestamentaire toujours venant et s’incarnant, toujours humain.
 
( 15 )      op.cit. p. 10.
 
( 16 )      A .NEHER, in op.cit. pp. 128, 134.
 
( 17 )      E.JACOB, Théologie de l’Ancien Testament. Neuchâtel, 1968. p. 75.
 
( 18 )      A.NEHER, L’essence du Prophétisme. Paris, 1955, pp.214-215.
 
( 19 )      R.ARON & a., op.cit. p. 9. 
              A.NEHER,  in op.cit. p. 116.
 
( 20 )      A.NEHER, in op.cit. p. 116.
              E.JACOB, Théologie de l’A.T., pp.220-221.
 
( 21 )      Cf. F.MUSSNER, pour lequel il est indéniable que Jésus a pratiqué et réalisé la loi juive.
 
( 22 )      E. JACOB, op.cit. p. 221, note 1 :  « La relation entre la loi et le chemin jette une lumière intéressante sur les racines vétérotestamentaires de la parole de Jésus : ‘Je suis le chemin, la vérité et la vie’ (Jn 14/6), les termes de vérité et de vie sont toujours associés à la loi qui est définie comme chemin ; Jésus se présente donc comme celui qui accomplit la loi ».
 
( 23 )      E. JACOB, op.cit. p.220.
 
( 24 )      Id. p. 221.
 
( 25 )      Nous arrivons à la même constatations que G.SIEGWALT dans son ouvrage : La Loi, chemin du salut. Neuchâtel, 1971, p. 156 notamment. Mais nous n’en  tirons pas   les thèses pauliniennes qu’adopte l’auteur dès la 2e partie (pp.161 ss).
 
( 26 )      E.JACOB, op.cit. p. 222.
 
( 27 )      Id. p. 223.
 
( 28 )      R.ARON & a.: op.cit. p. 63.
 
( 29 )      Voir:  Encyclopédie du Judaïsme, art. « Tallit », col. 743.
 
( 30 )      op.cit. col. 744.
 
( 31 )      R.ARON  & a., op.cit. p. 76. 
 
L A   P H R A S E   D U   M O I S  : 
«  L’ignorance est une des bases les plus solides de l’antisémitisme »
 
                                                                                              ( Jules ISAAC).
                                       
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