Journal juin 2019
L A V O I X D A N S L E D E S E R T
Mensuel du Château d’Argent - N° 3 Juin 2O19
PEDAGOGIE
Au mois d’avril 2O19, les quotidiens locaux ont fait part du projet original d’un jeune couple d’Obernai, Prisca et Christophe Genet, d’ouvrir dès cet automne, une école privée dans la villa Reine de Niedernai, qu’ils ont achetée il y a trois ans.
Il s’agira d’un enseignement inspiré des pédagogies Montessori, Steiner et Freinet appelées « alternatives » parce qu’elles diffèrent des méthodes d’enseignement traditionnelles.
Cette école, baptisée « Odyssée », suppose bien dans quelle merveilleuse aventure s’engagent élèves et enseignants.
Il s’agira d’une éducation libre et autonome, sans système de notation, l’élève devant procéder lui-même à l’estimation de ses progrès. Les classes d’âge seront mélangées, pour que les plus jeunes puissent apprendre des aînés ; on ira de trois à quinze ans. Le nombre d’élèves dans l’établissement n’excèdera pas cinquante. Les matières seront les mêmes que dans l’Education nationale, qui a donné son aval à la création de l’Odyssée. Le nombre d’élèves dans l’établissement sera de cinquante enfants, au maximum. Ils seront présents quatre jours par semaine, avec les horaires et les congés traditionnels.
Ainsi que le souhaitent les pédagogies Montessori et Steiner, la plus grande partie du temps sera consacrée à des ateliers, clôturés le soir par un bilan et du rangement.
Les enfants, dans le cadre magnifique de la Villa et de son parc de trois hectares, seront aussi en contact avec la nature, les animaux, et pourront s’adonner à de menus travaux de jardinage.
Les frais d’inscription étant assez élevés, une bourse pourra être attribuée à certaines familles.
Depuis cinq ans, une école semblable baptisée « Les Abeilles » existe à Klingenthal .
Dans le monde, on compte plus de vingt mille écoles Montessori, dont mille cent soixante huit en France, totalisant soixante cinq mille élèves (source internet).
Les écoles Steiner-Waldorf étaient recensées, il y a cinq ans, au nombre de mille trente neuf dans le monde ; il y en a un grand nombre en Allemagne mais seulement une demi-douzaine en France, dont une à Strasbourg et une autre à Colmar. Le rayonnement des écoles Steiner a été impacté par les soupçons de sectarisme et d’ésotérisme que l’on pouvait avoir, venant de l’anthroposophie de Rudolf Steiner.
En décembre 2O16, nous avons consacré une formation à l’ouvrage de Céline Alvarez intitulé : Les lois naturelles de l’enfant. (Paris, éditions Les Arènes, 2O16, 454 p.) L’auteur parle de son expérience dans une école Montessori de Gennevilliers. Une association : « Public Montessori », créée en 2O15, a pour but d’intégrer la pédagogie Montessori dans l’Education nationale.
La préoccupation majeure de Maria Montessori était de préserver la liberté et l’autonomie de l’enfant. Jean-Jacques Rousseau avait déjà manifesté son opposition au dirigisme éducatif en 177O dans le second livre de l’Emile, où il déplore que « Notre manie enseignante et pédantesque est toujours d’apprendre aux enfants ce qu’ils apprendraient beaucoup mieux d’eux-mêmes ». L’enfant apprend de lui-même naturellement, parce qu’il est programmé pour apprendre. Il se tourne naturellement vers la connaissance, ainsi que l’avait expérimenté le médecin Jean Itard au début du dix-neuvième siècle, après avoir recueilli un enfant sauvage, dont il entreprit l’éducation (Jean Itard : Mémoire et rapport sur Victor de l’Aveyron, 18O1-18O6). Il ne faut pas, pensent nos nouveaux éducateurs, asséner des vérités, forcer l’apprentissage, imposer des programmes à terminer dans une limite de temps, mais au contraire laisser venir spontanément la connaissance, respecter la curiosité et le « papillonnage » capricieux de l’enfant, et lui accorder tout le temps dont il a besoin pour ses tâtonnements, et les aventures de son « odyssée ». Cette lenteur est du temps gagné. Dans la classe de Céline Alvarez, pas de contrainte : si un enfant a sommeil, il y a, dans la salle, un espace pour dormir. Les enfants sortent à l’air quand ils en ont envie.
Ce qui est aussi de première importance, c’est de savoir que l’enfant n’assimile pas l’abstraction, mais seulement le concret. Les paroles n’ont aucun sens pour lui : seulement l’expérience. « L’être humain apprend en faisant, non en écoutant ». Avis à tous les catéchistes et prédicateurs, dont on se demande pourquoi leurs sermons ont si peu servi.
C’est pourquoi l’enfant doit être mis en contact avec la nature , jouer dehors, observer les insectes , les plantes, les animaux, le temps et les saisons,. Ce sont les meilleurs cours d’histoire naturelle.
La structure hiérarchique maître-élève fait place, dans ce système, à une relation horizontale, comme si l’adulte, l’enseignant était un enfant parmi les autres, mais plus expérimenté et apprenant toujours. Les enfants eux-aussi, par le mélange des âges dans une même classe, deviennent les enseignants les uns des autres.
Enfin, le dira-t-on jamais assez, l’être humain se nourrit autant d’affection et de compréhension que d’aliments. Tous les êtres vivants d’ailleurs. Pas de reproches, pas de jugements, pas de culpabilisation ni de punition. Savoir que se tromper, c’est aussi progresser.
Les résultats sont surprenants : dans la classe de Céline, à Gennevilliers, les enfants sont calmes, apprennent extrêmement vite, s’entraident et manifestent beaucoup d’amitié les uns pour les autres.
Une seule condition à observer cependant : l’enfant doit être éloigné de toute forme d’écran quel qu’il soit. Les écrans fatiguent anormalement les yeux et le cerveau, et provoquent des troubles importants de la concentration et du sommeil. Ils constituent un stress permanent et rendent l’enfant nerveux et agressif.
L’ouvrage résume cette méthode pédagogique par ces mots : « Inutile d’imaginer des expériences et des pédagogies nouvelles : la nature a déjà les siennes et il suffit simplement de les respecter. Les enfants sont livrés au monde avec une sorte de logiciel naturel d’auto éducation. Ils n’ont besoin ni de programmes scolaires, ni de manuels, ni de maîtres » ( p. 64).
Nous souhaitons beaucoup de succès à la nouvelle école « L’Odyssée », et un bonheur inépuisable à tous ceux, petits et grands, qui participeront à sa grande et merveilleuse aventure. D.V.
Portrait :
Maria Montessori (187O – 1952)
Maria Montessori est née en Italie le 31 août 187O. Sa petite enfance se passe à Rome. Jeune fille, elle s’intéresse à la médecine, mais celle-ci est réservée aux hommes. Elle décide en attendant de s’orienter vers les sciences naturelles. Ayant obtenu sa licence en 1892, elle reprend son rêve, mais se heurte aux mêmes préjugés et notamment à l’opposition de son père qui la destinait à l’enseignement. Elle frappe à toutes les portes, y compris à celle du Vatican, et c’est grâce à l’intervention du pape Léon XIII, ouvert au progrès, qu’elle réussit à s’inscrire en Faculté de médecine. Elle obtient son doctorat en 1896, et devient l’ une des premières femmes médecins d’Italie. Elle se spécialise en psychiatrie et en médecine infantile, et milite pour la cause des femmes, des enfants handicapés et de tous les démunis. Elle met au point une pédagogie révolutionnaire qui permet à l’enfant, à l’aide d’un matériel particulier, de jouer et de s’instruire à la fois, et de façon autonome, sans les directives d’un maître. Entouré d’autres enfants d’âges différents dans une même classe, l’ enfant devient à la fois apprenant des plus grands et enseignant des plus petits. La présence d’un adulte est bienveillante et coopératrice, jamais critique ni autoritaire.
Maria organise des cours internationaux à partir de 1913, crée un collège pour enseignants aux Etats-Unis dès 1914, participe à la Ligue internationale pour l’éducation nouvelle (1931), deux ans après avoir fondé l’Association Montessori Internationale. Invitée dans le monde entier, elle se retire aux Pays-Bas en 1946 et y décède en 1952. Son fils Mario et sa petite-fille Renilde Montessori poursuivront son œuvre notamment par la « Fondation for Montessori Education » aux USA.
La phrase du mois :
« Nous nous battons contre les lois de la nature, et cela nous épuise, car nous ne pouvons pas ressortir vainqueurs de cette lutte absurde ». (Céline Alvarez, Les lois naturelles de l’enfant. Paris, Les Arènes, 2O16, p. 399).
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