Lundi 4 Juillet 2016
Musée du Château d’Argent
Conférence du lundi 4 juillet 2O16
Saint Jean Chrysostome, Patriarche de Constantinople ( 35O-4O7)
« On eut certainement à Constantinople l’intention de le faire périr, en le condamnant à accomplir à pied un long trajet à travers les contrées les plus rudes. Aucun répit ne lui fut accordé. Déjà gravement malade il fut, à dessein, exposé à l’ardeur du soleil et à la pluie ; sans le laisser jamais reposer, on le poussait toujours en avant. La veille de sa mort, s ecoué par la fièvre, il dut encore faire huit kilomètres, jusqu’à la ville de Comana. La petite communauté de cet endroit l’accueillit avec charité ; mais dès le lendemain matin, on le força à continuer sa marche. Après avoir parcouru cinq kilomètres et demi, il s’effondra. Il fut reconduit à Comana où, après avoir été vêtu d’une chemise mortuaire blanche, il reçut la Sainte Eucharistie pour la dernière fois. Il fit le signe de la croix et mourut en rendant grâce pour sa vie entière » (1).
Ses dernières paroles furent, en grec : « Doxa tô Théô pantôn énéken. Amèn » : « Gloire à Dieu pour tout. Amen ».
L’Eglise des premiers siècles avait été le théâtre d’intenses rivalités, pas seulement entre l’orthodoxie et les nombreuses hérésies, mais aussi entre prélats. Jean Chrysostome avait surtout été victime de la jalousie du patriarche d’Alexandrie, Théophile, qui pourtant lui avait conféré la dignité épiscopale. Il avait réussi à monter contre lui une partie du clergé et surtout le pouvoir impérial.
On a pu voir, par exemple, St Irénée se mettre à mal avec le pape Victor, au second siècle, à cause d’une polémique sur la liturgie pascale (2)
Origène fut, dans les années 23O, en butte à la jalousie de l’évêque d’Alexandrie Démétrius, qui lui reprochait de prendre trop de libertés par rapport à l’orthodoxie . Démétrius refusa de l’intégrer dans le clergé. Le grand Docteur fut obligé de quittery deux fois Alexandrie, banni tour à tour par deux synodes (3).
Eusèbe de Césarée, hostile à la théologie du Concile de Nicée, contribua à faire déposer et excommunier les partisans de la confession de foi nicéenne, qu’il av ait pourtant signée avant son revirement.
St Athanase, patriarche d’Alexandrie et héraut de l’orthodoxie nicéenne, refusa de réintégrer Arius, condamné par le Concile de Nicée, mais grâcié par l’empereur Constantin dans un désir d’unité ecclésiale.
Athanase fut cependant accusé à son tour par un autre dissident : Mélèce d’Antioche et ses partisans, qui réunirent contre lui un concile à Tyr et réussirent à dresser contre Athanase l’empereur Constantin lui-même, qui l’envoya en exil. Sous le successeur de Constantin, Athanase fut encore banni à quatre reprise, et même avec le recours à la force.
St Basile, plus tard évêque de Césarée en Cappadoce, fut ordonné prêtre en 364 par l’évêque Eusèbe, mais se disputa rapidement avec lui et s’enfuit dans une solitude monacale pour ne pas envenimer davantage les choses.
St Grégoire de Nazianze développa pour l’empereur Julien l’Apostat une haine violente, parce qu’il avait interdit aux chrétiens l’accès aux études classiques.
Il eut fort à faire aussi contre un certain Maxime, que le patriarche d’Alexandrie, jaloux de St Grégoire, avait envoyé à Constantinople dans l’espoir de le faire sacrer évêque, pour le lui opposer .
Un autre cas de jalousie fut celle du patriarche de Constantinople à l’égard de St Grégoire de Nysse (4).
Une histoire semblable à celle dont Jean Chrysostome fut la victime, se joua entre l’évêque St Cyrille d’Alexandrie et l’hérétique Nestorius, qui était alors évêque de Constantinople ; ce qui réenflamma la rivalité séculaire entre les deux patriarcats.
On verra, chez les Pères latins, Tertullien, passé au Montanisme, reprocher à l’évêque de Carthage, son laxisme au sujet de la Pénitence (5), et St Cyprien se dresser contre l pape Etienne au sujet de la validité du Baptême conféré par des communautés dissidentes . Comme Tertullien, il pensait que le baptême ainsi obtenu était invalide et devait être refait.
Pour l’évêque de Rome, par contre, tout baptême conféré au nom de la Trinité, même par des hérétiques, était valide.
C’était, en même temps, pour Cyprien, évêque de Carthage, un problème concernant la prééminence de l’évêque de Rome, qu’il ne voulait pas admettre Ceci se passait au milieu du troisième siècle.
Plus grave était l’attitude des évêques de Gaule au temps d’Ambroise , un siècle plus tard. Ils avaient fait exécuter des prélats hérétiques. Selon la loi promulguée en 316 et remise en vigueur en 347, l’empereur avait ordonné la dissolution des communautés dissidentes et l’envoi en exil de leurs évêques. Beaucoup de récalcitrants furent mis à mort.
A Trêves, en 386, Priscillien fut exécuté : d’origine espagnole, il reprochait à l’Eglise officielle une trop grande souplesse envers les pécheurs et les renégats, et prônait un ascétisme poussé à l’extrême. On a pu voir, dans cette doctrine, une résurgence du manichéisme.
Sous l’influence de l’évêque de Trêves, l’empereur Maxime fit condamner les idées de Priscillien par un concile réuni à Bordeaux en 384. Il fut conduit, avec ses partisans, à Trêves, où on les inculpa . Il furent mis à mort en 386, avec une femme :Euchrotia.
La Gaule avait été le théâtre de nombreuses querelles entre évêques. Il y avait les partisans de l’évêque Félix de Lyon d’une part, et de Martin de Tours d’autre part. Les premiers représentaient une position laxiste, et les autres, rigoriste. L’apaisement fut amené par le concile de Turin, en 398.
Ce concile régla aussi les conflits de prééminence entre l’évêque de Marseille et ses prétentions à la prééminence sur les diocèses de la Gaule, et l’évêque d’Aix, qui avait les mêmes prétentions.
On le voit, les jalousies et rivalités personnelles, les ambitions politiques et les dissensions doctrinales ont fait que l’Eglise ancienne a été extrêmement divisée jusqu’au début du cinquième siècle ; ce n’est qu’à partir de cette époque que l’autorité de l’évêque de Rome fut acceptée dans tout le monde chrétien (6).
St Jean Chrysostome , à la fin du quatrième siècle, apparaît donc dans un monde où les rivalités entre sièges épiscopaux étaient monnaie courante.
Le patriarcat d’Alexandrie était puissant (7). Mais le Concile de Constantinople avait reconnu, en 381, dans son canon 3, que « l’évêque de Constantinople aura la primauté d’honneur après l’évêque de Rome, parce que cette ville est une nouvelle Rome » Constantinople, l’ancienne Byzance, était au moment du concile la résidence de la famille impériale et la capitale de l’Empire.
Jean naquit à Antioche dans les années 35O. Il était issu d’une famille aisée. Son père était officier supérieur, mais mourut trois ans après la naissance de Jean, qui fut élevé par sa mère, Anthusa. Il fréquenta l’Ecole d’Antioche et reçut les bases de sa formation linguistique et littéraire par son professeur de rhétorique Libanios (314-393), qui avait enseigné à Constantinople et Nicomédie. Il avait ouvert une école de rhétorique à Antioche en 354. Il était païen et, malgré l’influence qu’il exerça sur son jeune élève, Jean préféra se tourner vers l’évêque Mélèce (8), et vers un autre professeur, Diodore (mort en 394), qui enseignait la théologie, les sciences, et surtout l’exégèse biblique à Antioche. Diodore eut des élèves célèbres comme Théodore de Mopsueste et Théodoret. Le professeur quitta Antioche à la suite d’un conflit avec l’empereur Julien, dans les années 362, et devint, en 378, évêque de Tarse. Il était un fervent défenseur de l’orthodoxie nicéenne, et un adversaire des Apollinaristes et d’autres hérésies (9). Cependant, il bascula dans le Nestorianisme (1O).
Jean reçut le baptême des mains de l’évêque Mélèce, en 369. Il fut ordonné Lecteur (anagnôstès) en 375, et de ce fait, adjoint au clergé d’Antioche (11).
Mais il se sentit très vite attiré par la vie monastique. Il entra dans un couvent près d’Antioche, et y resta quatre ans. Puis il voulut être ermite et s’efforça, dans la solitude, à une rigoureuse ascèse, jeûnes, prière, veilles, qui finalement affectèrent sa santé au point qu’il dut retourner à Antioche.
Le vieil évêque Mélèce, peu avant sa mort, lui conféra le Diaconat , en 381, et ce fut son successeur Flavien qui l’ordonna prêtre en 386.
Ce fut le début d’une intense et brillante activité de prédication à Antioche. Elle perdura dans cette ville jusqu’en 397, lorsqu’il devint patriarche de Constantinople.
Prêcher était pour Jean un besoin vital. Il disait : « Quand je suis malade, je guéris en prêchant ».
A cette période antiochienne, il faut rattacher les vingt et une prédications données à l’occasion d’un scandale politique : la destruction des statues de l’empereur Théodose et de l’impératice Eudoxie, lors d’une révolte du peuple qui s’opposait à une augmentation d’impôts.
Les grandes figures bibliques et contemporaines font aussi l’objet de ses homélies : il en consacre sept à St Paul, mais fait aussi l’éloge des martyrs, des évêques d’Antioche : Ignace, Eustathe, Mélèce et Diodore.
D’autres homélies sont données à l’occasion de fêtes religieuses et de l’admission au baptême.
On trouve aussi huit prédications contre le Judaïsme, ainsi que des commentaires de l’Ecriture : Genèse, Psaumes, Actes et Epîtres pauliniennes, dont une homélie importante sur l’Epître aux Romains. Toutes ne sont peut-être pas de Jean Chrysostome. Les historiens considèrent comme apocryphes certaines homélies sur les Psaumes, sur Isaïe 8-64, sur Daniel et sur Job.
Parmi les œuvres de Chrysostome, il faut aussi mentionner les Colloques ou discussions : une polémique contre Théodore de Mopsueste (12) ; une étude sur la vie monastique, une autre sur la Pénitence, sur la virginité, sur la pédagogie, et surtout un traité sur le sacerdoce : le « Peri hiérôsunès » de 392 , qui a influencé la réflexion des siècles suivants.
L’évêque Jean a aussi écrit plus d’une centaine de lettres de captivité, dont dix-sept au groupe de diaconesses qu’il avait assistées à Constantinople.
On parle souvent de la Liturgie de St Jean Chrysostome ; mais elle est apocryphe et doit être attribuée au partiarche Philotheos de Constantinople, au quatorzième siècle (13).
Jean est resté prêtre à Antioche jusqu’en 397, une dizaine d’années.
En 397, l’évêque Nectaire de Constantinople vint à mourir. Constantinople était un patriarcat convoité, le plus important de l’Eglise d’Orient, et le siège de la famille impériale. Il y avait, depuis longtemps, une forte rivalité entre le patriarcat d’Alexandrie et celui de Constantinople. L’évêque Théophile d’Alexandrie, voulait placer dans la capitale un prélat facile à manipuler. Mais le ministre Eutrope, auquel l’empereur Arcadius faisait entière confiance, entendait conduire les choses à sa manière. Il, songeait à Jean d’Antioche, à son prestige de prédicateur, à sa droiture qui l’éloignait des intrigues politiques. L’évêque Nectaire avait été un homme pacifique, sans envergure. Maintenant, on avait besoin à Constantinople, d’un évêque de prestige.
Eutrope envoya en secret à Antioche un délégué impérial qui donna rendez-vous à Jean dans une chapelle sous prétexte de s’entretenir avec lui. Mais là, une voiture l’attendait déjà et conduisit Jean de toute urgence à Constantinople, sans qu’il eût été mis au courant des intentions qu’on avait à son égard. Les évêques étaient déjà réunis pour l’élection, quand l’empereur imposa Jean d’Antioche et le fit consacrer par Théophile d’Alexandrie, à la surprise de tous.
Théophile perdait la première manche, mais n’allait pas tarder à prendre sa revanche.
Jean fut accueilli chaleureusement par le peuple, et aussi à la cour dont il était désormais le prédicateur officiel. Cette réussite était d’autant plus cuisante pour son rival d’Alexandrie. Il se produisit, en 4O1, un événement qui allait faire basculer les choses. : des moines égyptiens furent chassés d’Egypte par Théophile, qui les accusait d’Origénisme (14).
Ces moines en appelèrent au primat de Constantinople et l’évêque Jean les fit héberger près de l’évêché. Les moines saisirent les tribunaux et firent un procès au patriarche d’Alexandrie. Or, le tribunal était présidé par Jean. Théophile envoya des ambassadeurs dans la capitale, d’autres moines en l’occurrence, mais, lors du procès, ceux-ci furent condamnés à mort. La sentence ne fut jamais exécutée : on l’échangea contre l’exil.
L’empereur convoqua alors Théophile à venir s’expliquer en personne à Constantinople.
Mais Théophile ne se sentait pas à ses ordres. Il envoya d’abord Epiphane, évêque de Salamine, pour préparer le terrain. Quand il daigna venir lui-même, il se fit accompagner de vingt neuf évêques égyptiens. Il avait l’intention de faire accuser et destituer l’évêque Jean.
Et il parvint bel et bien, à force de mensonges et d’intrigues, à circonvenir la famille impériale ainsi que la bourgeoisie et une grande partie du clergé de Constantinople. Il fit croire, notamment à l’impératrice, qu’un certain sermon de Jean, parlant de la reine Jézabel, était dirigé contre elle.
Il fut convenu de réunir un concile contre Jean, dans un couvent près de Chalcédoine, appelé « Le Chêne ». C’était en septembre 4O3. Aux évêques égyptiens se joignirent des évêques syriens : Acace de Bérée, Sévérien de Gabala et Antiochus de Ptolémaïs ; l’évêque de Chalcédoine, Cyrinus, était aussi de la partie.
Les accusations contre Jean fusèrent de tous côtés. Lui aussi était soupçonné d’Origénisme.
En face, Jean, qui ne s’était pas rendu au concile du Chêne, en tint un autre à Constantinople, en présence de quarante évêques. Ils mirent en cause les décisions du concile du Chêne et rappelèrent que l’affaire des moines chassés d’Alexandrie n’était pas jugée, et que Théophile était toujours en accusation.
Celui-ci, cependant, essaya de prendre son rival de vitesse. Il lui envoya un notaire impérial et somma Jean de venir comparaître au concile du Chêne. Mais celui-ci refusa. Alors Théophile saisit cet argument pour déposer Jean du siège de Constantinople.
Il avait une grande partie de la population de son côté et, pour éviter une émeute, il se soumit et se laissa conduire en exil à Prenctos, en Bithynie.
Théophile triomphait. Il avait maintenant les coudées franches et en profita pour enfoncer complètement son rival exilé. A Constantinople, il rétablit dans leurs fonctions les évêques que Jean avaient renvoyés et qui lui reprochaient son rigorisme. C’était d’ailleurs le reproche général qu’on lui faisait, aussi à la Cour.
Mais le peuple qui lui avait conservé sa fidélité se souleva, devant tant d’injustice. On avait encore en mémoire la révolte de 387, où la population de Constantinople brisa les statues de l’empereur et de l’impératrice. Cela sentait le soufre, et Théophile repartit pour Alexandrie .
En même temps, au palais , se produisit un événement qui remplit de crainte la famille impériale. Dans son Histoire ecclésiastique, Théodoret parle d’un tremblement de terre. D’autres hypothèses font état d’une fausse couche dont aurait été victime l’impératrice (16).
Superstitieuse, elle demanda le retour immédiat de Jean.
A son retour, celui-ci fut accueilli triomphalement par le peuple et par une trentaine d’évêques.
Jean revint, mais ne changea pas de caractère. Il s’emporta lors d’une fête populaire qui avait troublé une célébration. Lors d’une autre fête, en l’honneur de St Jean Baptiste, et on ne sait ce qu’il avait toujours sur le cœur contre l’impératrice, il recommença à faire des comparaisons équivoques entre Hérodiade et Eudoxie.
L’impératrice refusa alors de remettre les pieds à l’église. A la Cour, les intrigues se rallumèrent. Un nouveau synode fut convoqué contre Jean. On essaya même, en faisant usage de la force, d’empêcher l’évêque de baptiser les catéchumènes à la fête de Pâques, le 17 avril de l’année 4O4. Les conseillers de la Cour, manipulés par Eudoxie et profitant de la faiblesse de l’empereur, obligèrent celui-ci à signer un nouveau décret de bannissement.
Ceci se passait à peine huit mois après le concile du Chêne.
Jean et ses fidèles furent traités comme les pires brigands :
« Pendant les longues et émouvantes liturgies de la vigile pascale, au cours desquelles on baptise les catéchumènes, le clergé de Jean et ses fidèles sont chassés par force des églises où ils sont rassemblés. En vain essayent-ils de se grouper dans les thermes de Constantin ; les soldats les y poursuivent et le sang coule jusque dans les piscines baptismales » (17).
L’évêque ne s’en alla pas tout de suite. Il était gardé par de nombreux amis en sa demeure épiscopale. Une fois encore, l’impératrice fut saisie de doutes. Elle hésita à faire appliquer le décret. Ce ne fut qu’après la Pentecôte, le 8 juin 4O4, que des prêtres ennemis de Jean mirent Arcadius en demeure d’exécuter son ordre de bannissement : « Nous te disons devant tous : Que la déposition de Jean retombe sur nos têtes ! » (18).
Jean fait alors ses adieux à tous ceux qui lui sont restés fidèles, notamment aux diaconesses Olympias, Pentadia, Procla et Silvina. Il gardera avec elles des relations épistolaires pendant son exil. Mais un soulèvement populaire provoque un incendie dans une église, qui se propagea au Sénat et à plusieurs maisons de la ville, détruisant un important patrimoine de l’art antique. Les ennemis de Jean le rendent responsable de ce désastre.
Il est transporté à Nicée, puis à Cucuse en Asie Mineure. Il souffre beaucoup du climat, de la faim et des incursions barbares. On le conduit de là à Arabissos. La correspondance qu’il entretient avec ses anciens amis l’aide à supporter son exil. Par lettres, il entreprend, en effet, tout un travail pastoral, prodiguant des conseils et s’informant de ce que devenaient les œuvres qu’il avait fondées naguère auprès des nécessiteux et des malades à Constantinople. Il avait même créé une paroisse pour les Goths convertis, où l’on catéchisait et prêchait dans la langue qu’ils pouvaient comprendre.
Jean se met aussi à écrire à l’évêque de Rome, le pape Innocent Ier. Cette correspondance a été relatée par Palladius et a ainsi été conservée (19). L’exilé implore le soutien du pape, et lui raconte toutes les injustices dont il a été victime. Innocent estime que les décisions du Chêne sont arbitraires et répond à Jean qu’il lui accorde toute sa confiance ainsi qu’à ses fidèles. Beaucoup d’autres évêques, dont l’évêque d’Hélénopolis, envoient aussi des plaintes à Rome. Et c’est en vain que Théophile essaie encore de charger son ennemi pour le discréditer aux yeux du pape.
Innocent décide de débrouiller toute cette affaire et de convoquer un concile à Thessalonique. Mais les évêques orientaux chargés de communiquer la missive du pape à l’empereur sont arrêtés à Constantinople et jetés en prison. Les évêques occidentaux se rendant à ce concile sont renvoyés en Italie, faisant ainsi échouer l’entreprise.
Malgré tout, le pape Innocent poursuit sa correspondance avec Jean, qui lui répond avec gratitude.
En cette même année noire de 4O4, qui avait vu le bannissement du patriarche, l’impératrice Eudoxie mourut.
Mais la haine persécutrice contre Jean ne s’éteignit toujours pas. Trois ans après, en 4O7, un ordre impérial le fit exiler à Pityonte, au bord de la Mer Noire. On le contraignit à faire ce trajet à pied, dans la montagne, pendant trois mois. Il arriva à Comana complètement épuisé. Mais ce n’était pas encore assez : on le poussa plus loin, six kilomètres, comme une bête qu’on flagelle, et il s’évanouit. Il mourut dans la chapelle de Comana où il fut ramené, le 14 septembre 4O7, fête de l’Exaltation de la sainte Croix.
Il reposa dans la chapelle de Comana pendant trente et un ans.
A Constantinople, il n’avait pas été oublié. En 438, Proclus, le nouvel évêque, demanda que les restes de Jean soient ramenés dans la basilique des Apôtres (2O). Le 27 janvier 438, les reliques de celui que Palladius avait appelé Chrysostome dès l’an 4O8, dans un de ses Dialogues, furent accueillies à Constantinople par le fils d’Arcadius, l’empereur Théodose. Plein de vénération, il s’inclina devant son cercueil.
Ce fut le premier geste d’un acte de réparation dont l’Histoire allait se charger. St Jean Chrysostome fut proclamé Docteur de l’Eglise en 1568. C’était en pleine tourmente contre le protestantisme.
Chrysostome pouvait, en effet, être opposé à celui-ci, non pas sur le plan de la mariologie où ses idées sont encore assez vagues, mais comme exemple de prédicateur et de commentateur de l’Ecriture sainte, et en tout cas, comme défenseur de la théologie catholique du sacerdoce.
C’est le thème que nous aborderons la prochaine fois, en étudiant son traité « De Sacerdotio ». Il nous conduira vers d’autres théologiens anciens et vers les décrets conciliaires qui ont défini, pour les siècles, la pensée de l’Eglise sur le sacrement de l’Ordre.
Notes
1 Hans von Campenhausen, Les Pères grecs. Traduit de l’allemand par O.Marbach. Paris, 1963, éditions de l’Orante, p.2O6.
2 Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique V, 24/11.
3 Origène, Commentaire de Jean VI, prologue 9.
Eusèbe , Hist. Eccl. VI, 39/5.
4 H. v. Campenhausen, op.cit. p. 161 : « La jalousie du supérieur à l’égard du subordonné plus célèbre que lui, fut à la base de ( leur ) mésentente ».
5 Tertullien, De Pudicitate 16/14. De Poenitentia 2/2 et 9/8.
6 Au Concile de Nicée, l’évêque de Rome est considéré comme « Primus inter pares », le premier entre frères égaux.
Pour la première fois, en 385, un évêque romain, Sirice, affirme que le siège de Rome possède des prérogatives que n’ont pas les autres évêques (Lettre de Sirice à Himère de Tarragone, en 385). A cette époque, c’est le siège de Milan , avec St Ambroise, qui a la plus grande importance. Ce siège assemble des conciles, formule des opinions et prend des décisions.
Ensuite, en 4O4, l’empereur Honorius transporte sa résidence à Ravenne et c’est désormais là que se traitent les grandes affaires ecclésiastiques.
Après, c’est Aquilée qui devient à son tour un centre d’influence. L’évêque de Rome, Innocent Ier, était à Ravenne au moment de la prise de Rome par les barbares, en 41O.
Il y avait une grande diversité de pratiques et de doctrines dans l’Eglise, encore en l’an 4O5, et pas de tradition commune (Lettre d’Innocent à Decentius de Gubbio).
Au cinquième siècle, ce sont seulement des prétentions à la primauté auxquelles on assiste de la part des évêques de Rome, mais celle-ci n’est pas universellement reconnue.
En Afrique, les problèmes théologiques et disciplinaires sont réglés par les évêques africains.
C’est avec la menace du Pélagianisme que certains évêques africains , comme St Augustin, demandèrent l’appui de Rome. Mais la condamnation solennelle de Pélage a été prononcée par le gouvernement de Ravenne.
Les droits du siège romain, revendiqués par le pape Boniface, furent contestés par l’empereur d’Orient Théodose II, dans un rescrit du 14 juillet 421.
Après la mort de Boniface, son successeur Célestin essaya, à son tour, d’imposer partout l’autorité du siège romain.
En 426, l’évêque de Carthage rappelle, dans une lettre, qu’aucun concile n’autorise le pape à envoyer des légats, et que c’est là une preuve d’arrogance (Codex canonum ecclesiae africanae, 138).
Ce n’est qu’au milieu du cinquième siècle, sous le pontificat de Léon le Grand (44O-461), que l’Eglise se centralisa sur l’évêque de Rome.
.
7 « Aucun évêque ne possédait, au début du troisième siècle, un appareil administratif aussi important, aussi bien conservé, aussi efficace que le patriarche d’Alexandrie . Depuis le temps de l’évêque Démétrius (mort en 232), Alexandrie régissait les affaires de l’Eglise dans l’Egypte toute entière et même au-delà de la frontière occidentale du pays. » (H. von Campenhausen, op.cit. p.97).
8 St Mélèce d’Antioche avait présidé le concile de Constantinople (381), au cours duquel il mourut. Il était devenu évêque d’Antioche en 36O. Il combattit l’Arianisme qui divisait l’Eglise d’Antioche. Il rompit avec cette communauté, ce qui prit le nom de « Schisme mélétien ».
9 Apollinaire , mort en 385, prêtre à Laodicée, avait d’abord été excommunié , en 312, par l’évêque arien Georgos, à cause de sa fidélité à Athanase et au Concile de Nicée , mais devint lui-même évêque de la communauté chrétienne nicéenne de Laodicée, en 36O. Très brillant, et d’une grande culture, il était, en 374, à Antioche, le professeur de St Jérôme.
Mais on a mis longtemps à découvrir que, dans sa christologie, se cachait une hérésie : il pensait que l’intelligence du Christ (noûs) n’était pas humaine mais divine, ce qui revenait à nier l’entière humanité de Jésus. C’est le Synode d’Alexandrie qui, en 362, a détecté cette hérésie, qui conduisit à un schisme, et qui revint à l’ordre du jour de toutes les décisions conciliaires par la suite.
1O Nestorius (381-451), reçut sa formation à l’Ecole d’Antioche, et se distingua comme prédicateur, au point qu’il fut appelé par l’empereur Théodose II au Patriarcat de Constantinople . Dans sa théologie mariale, il donnait la préférence au concept de « Christotokos », comme St Jean Chrysostome d’ailleurs, plutôt qu’à celui de « Théotokos ».
Sa pensée théologique très controversée lui valut l’hostilité de ses collègues. Un synode convoqué à Ephèse en 431 déposa Nestorius. Il se retira alors dans un monastère à Antioche. En 436, il fut exilé en Haute-Egypte.
Il niait l’union des deux hypostases en Jésus-Christ ; selon lui, elles se trouvaient juxtaposées sans lien entre elles. De ce fait, le côté humain en Jésus a pu commettre des péchés.
On trouve, à l’arrière-plan de cette doctrine, le concept des deux natures opposées du Manichéisme, l’idée d’humanité illusoire du Christ dans le Docétisme, la Divinité illusoire de l’Arianisme, ainsi que l’Adoptianisme, selon lequel Jésus est adopté comme fils par Dieu, mais n’est pas vraiment Dieu.
L’hérésie nestorienne provoqua un schisme dans l’Eglise, et de nombreuses communautés s’en réclamèrent, notamment en Afrique du Nord, en Inde et au Turkestan.
11 Cf Lc 4/16-2O : dès le second siècle, un ordre des Lecteurs se retrouve de façon constante dans l’Eglise. Il avait d’abord pris une forme laïque puis, au troisième siècle, fut intégré aux différents degrés du sacerdoce. Plus tard, le Lectorat devint un passage obligé vers la prêtrise. Au temps de St Jean Chrysostome, des enfants pouvaient être Lecteurs dès l’âge de six ans. Lors des persécutions, on trouva, notamment en Afrique, de nombreux martyrs parmi les enfants Lecteurs. Aux quatrième et cinquième siècles, ils étaient formés par des écoles chrétiennes, les « schola lectorum » en Italie, en Gaule, en Espagne et en Afrique. On voulut même que chaque prêtre en ait quelques-uns d’attitrés. Plus tard, au seizième siècle, c’est ainsi que se créèrent les Séminaires d’enfants.
La consécration du Lecteur remonte aux « Statuta ecclesiae antiqua » des années 5OO. C’est lors de cette cérémonie qu’on leur remettait le Lectionnaire.
12 Théodore de Mopsueste (35O-428) , avait été le camarade d’études de Jean à Antioche, et avait suivi, comme lui, les cours du rhéteur Libanios et de Diodore. Il avait adopté, comme lui, la vie monastique et fut rappelé à cette vocation par une lettre de Jean : Ad Theodorum lapsum (Migne Patrologie grecque 47, 277-316). Il fut ordonné prêtre à Antioche en 383 par l’évêque Flabianos. En 392, il fut élu évêque de Mopsueste en Cilicie, charge qu’il remplit avec une grande conscience.
Grand exégète, il commenta presque toute la Bible. Il défendait une exégèse littérale, ce qui lui a été notamment reproché pour le Cantique des Cantiques, au deuxième Concile de Constantinople, parce qu’elle contredisait l’interprétation spirituelle qu’en donnait la tradition, à savoir les relations du Christ et de son Eglise.
On lui doit aussi des catéchèses sur les sacrements et la foi (388, 392), et un De incarnatione en quinze livres, ainsi que nombre d’écrits dirigés contre différentes hérésies : Apollinaristes, Eunomiens, Macédoniens.
Sa doctrine du péché originel a été critiquée, car il niait qu’il soit inhérent à la nature
humaine, dès la naissance, d’où une accointance avec le Pélagianisme .
Sa mariologie n’était pas orthodoxe non plus : il était plutôt partisan de l ’antropotokos.
Sa christologie montrait une tendance à l’Adoptianisme.
13 La biographie et les œuvres de Jean Chrysostome nous sont connues par Palladios d’Helenopolis et son Dialogos de Vita Ioannis Chrysostomi ; par Socrates dans l’Historia ecclesiastica, ainsi que par les Actes du Synode de Constantinople de 4O3.
Palladios d’Helenopolis (364-431), était d’abord moine en Egypte, puis en Palestine. En l’an 4OO, il devint évêque d’Helenopolis en Bithynie. Ami fidèle de Jean Chrysostome, il fut banni parce qu’on l’accusait de partager les idées d’Origène, et retourna alors à la vie érémitique en Palestine. On le retrouve cependant, en 42O, à la tête de la communauté d’Aspona en Galatie. Il composa en 4O8 son Dialogus de vita Ioannis Chrysostomi (MPG 47/ 5-82).
Socrates, historien ecclésiastique, est né à Constantinople aux alentours de 38O. Elève de deux célèbres grammairiens païens, Helladios et Ammonios, il se distingua plus tard par sa fidélité au dogme christologique de Nicée : l’homoousios, mais fit aussi parler de lui par ses sympathies pour les Novatiens. Il écrivit son Histoire ecclésiastique, en sept volumes, dans les années 439 à 45O. Elle s’étend de Dioclétien (3O5) à Théodose II (439).
Il passait pour le meilleur historien de son temps, très critique vis-à-vis de ses sources et s’efforçant toujours à l’objectivité.
Il est une référence importante pour la connaissance de l’Arianisme et des autres hérésies christologiques, des querelles origéniennes, des débuts du monachisme, et des développements de la discipline ecclésiastique.
14 Origène (185-254) avait été ordonné prêtre à tort, par les évêques de Césarée et de Jérusalem, qui ignoraient son infirmité. L’évêque d’Alexandrie, Démétrius, le bannit d’Egypte, et Origène ouvrit alors une école théologique à Césarée, qui devint vite célèbre, et que fréquenta, par exemple, Grégoire le Thaumaturge. Origène fut martyrisé sous la persécution de Dèce, sans renier sa foi, et, libéré, mourut peu après de ses graves blessures.
Grand voyageur, d’une culture universelle et d’une intense fécondité littéraire, ascète, il a aussi façonné l’esprit du monachisme de son siècle.
On lui doit de nombreux commentaires bibliques, des homélies et des conférences. Des traités contre les hérésies, aussi, comme le Kata Kelsou : Contre Celse, philosophe païen qui avait attaqué le Christianisme, au second siècle ; le Peri Archôn, : Somme théologique ; le Peri Heuchès : Traité de la Prière ; l’Hypotreptikos : Exortation au Martyre.
Sa pensée théologique a souvent été mal comprise de son temps et, par sa complexité, facilement soupçonnée d’hérésie sur des points tels que la doctrine trinitaire, la christologie, les doctrines des sacrements et de la pénitence ; celle des fins dernières, qui prônait l’apocatastase ; et aussi l’angélologie.
Son exégèse littérale de la Bible est contestable également : pour lui, l’Ecriture sainte est , à chaque endroit, inspirée par le Saint-Esprit, et par conséquent toute péricope est à prendre au pied de la lettre. Origène représentait l’exégèse de l’Ecole alexandrine, à la différence de l’exégèse critique de l’Ecole d’Antioche.
Origène était aussi un mystique qui, par l’ascèse, voulait parvenir à la rencontre avec Dieu, et ouvert, dans la largeur de son intelligence , même à l’ésotérisme.
Ceci permet de comprendre qu’il devenait très facile de trouver des déviances dans sa pensée et de soupçonner tel ou tel théologien d’origénisme.
15 Théodoret, Hist. Eccl. V,34.
16 Von Campenhausen, op.cit. p.2O3.
17 G.Bardy, dans: Histoire de l’Eglise, par A.Fliche et V.Martin ; éd. Bloud et Gay, 1945,
tome IV, p. 141.
18 Palladius, Dial. X.
19 Palladius, Dial. II.
2O La ville de Byzance a pris le nom de Constantinople en 33O. Centre de l’orthodoxie, siège de l’Empire d’Orient, elle était considérée comme la seconde Rome. On y avait construit des thermes, un cirque, un théâtre et un deuxième sénat. Elle était, à partir de Constantin, fortement marquée par l’architecture et l’art chrétiens. Elle était aussi la plaque tournante du commerce d’objets précieux en Orient. Le concile de Chalcédoine en fit le dernier recours juridique du monde oriental.
St Jean Chrysostome fut inhumé dans la Basilique des Apôtres, construite par Constantin comme parallèle à celle de Rome. Y reposaient, selon la légende, l’Apôtre André, ainsi que St Luc et St Timothée. L’empereur Constantin et ses successeurs y avaient aussi leurs tombeaux. Cette basilique a été restaurée en 55O, par l’empereur Justinien. Elle fut rasée par Mehmed Fatih, en 1462, et remplacée par une mosquée..
Elle était antérieure à la basilique Ste Sophie, érigée par l’empereur Justinien Ier, en 537.
Danielle Vincent
Ste Marie-aux-Mines.