Journal juin 2023
Mensuel du Château d’Argent - N° 54 - Juin 2023
Charles de Gaulle : L’Algérie.
Quatrième partie : Le sort tragique des Pieds-Noirs.
Ces numéros, consacrés à la Guerre d’Algérie, sont dédiés à la mémoire de Monsieur Jean-Pierre Bengold, de Ste Croix-aux-Mines, Président des Anciens Combattants, qui vient de nous quitter le 31 janvier 2023.
Après les accords d’Evian du 18 mars 1962, les membres de l’Organisation de l’Armée Secrète, ou ceux qui sont soupçonnés d’être favorables à une Algérie française, sont poursuivis par le Front de Libération Nationale. « Enlevez sept ou huit Européens par jour ! », ordonne le FLN. Les Nationalistes recrutent parmi la pègre, dans les prisons, et parmi les basses couches de la population, les tueurs dont ils ont besoin.
Tous les motifs seront bons - et pas seulement politiques - pour persécuter les Français d’Algérie : « A cause de leur voiture, de leur appartement ou de leur femme, les Pieds-Noirs vont disparaître » ( 1 ). Dans plusieurs villes, les habitants s’enfuient ( 2 ). Réseaux de trafiquants et gangstérisme sont à l’oeuvre : ceux qui, parmi les Européens tombent dans leurs filets sont torturés, deux à trois fois par jour ; des femmes et de petites filles sont envoyées dans des réseaux de prostitution en Afrique noire et dans les pays arabes, vendues sur les marchés à bestiaux ( 3 ).
De mars à décembre 1962 on dénombre plus de dix mille morts parmi les Français d’Algérie ; les 21 et 22 mai, seize Pieds-Noirs sont égorgés à Alger « alors que l’Armée française est encore présente, en charge de la sécurité : on pouvait être enlevé en pleine ville, à dix mètres d’un soldat français qui restait l’arme au pied » ( 4 ).
En cette période transitoire depuis le cessez-le-feu, les Pieds-Noirs ne peuvent plus compter sur l’armée pour les protéger. Celle-ci n’est plus considérée comme se trouvant en territoire national, mais en pays étranger. L’OAS, en perte de vitesse sur le territoire algérien, n’a pas non plus les moyens de sécuriser les Français restés sur place.
« Dans les fermes, près desquelles s’installent les unités algériennes qui perquisitionnent, volent le bétail et menacent les habitants, les agriculteurs ne peuvent faire appel ni à l’armée ni à la gendarmerie. » Dans un pays qui se déstructure, les préfets demandent même aux fermiers de rendre toutes leurs armes à la gendarmerie, alors que « les agriculteurs pieds-noirs n’avaient tenu, tout au long des sept années de conflit, qu’en transformant leurs exploitations en redoutes fortifiées et en s’armant ». Ils sont alors obligés de quitter leurs fermes. ( 5 ).
A Oran l’année du cessez-le-feu est une année tragique. Les Pieds-Noirs refusent d’accepter les accords d’Evian et cherchent à faire de la ville une cité fortifiée, « une enclave
indépendante, rattachée à la France » ( 6 ). Les terroristes arabes ripostent avec une véritable folie meurtrière. Ni l’armée ni la police ne contrôlent plus la ville. L’administration française s’est volatilisée. Dès le jour de la proclamation de l’indépendance, « on égorge en pleine rue ». On est le 5 juillet 1962 ( 7 ). C’est, écrit Raphaêl Delpard, « une page tragique, inconnue de la majorité des Français et volontairement occultée par les médias comme par tous les gouvernements qui se sont succédés depuis la fin de la guerre d’Algérie » ( 8 ).
La situation devient si grave, que le Président des Etats-Unis, John F. Kennedy, (fallait-il que ce soit lui ! Le nôtre ne disait mot…) est alerté par son ambassadeur à Alger. Il donne à la sixième Flotte américaine, croisant au large des côtes algériennes, la mission de porter secours à la population ( 9 ).
Cette situation dramatique ne rencontre qu’incompréhension et indifférence de la part du gouvernement français. Dans un cas de plainte portée auprès du Consul de France, le plaignant est traité d’imposteur ( 10 ). Lors d’une rafle d’Européens à Oran, le 5 juillet 1962, les autorités françaises, informées d’urgence, ne lèvent pas le petit doigt. Des plaintes écrites disparaissent et les dossiers sont classés sans suite ( 11 ). Les commissions d’enquête envoyées par Jean de Broglie, Secrétaire d’Etat aux affaires algériennes, « font un tour de valse et rentrent en France, dossiers vides » ( 12 ). « Le gouvernement français et le chef de l’Etat, Charles de Gaulle se taisent » ( 13 ).
Les Français algériens quittent l’Algérie, enfants d’abord. Dans certains cas, ils ont cinq minutes pour partir, laissant tout derrière eux, n’emportant que le matelas, le canari et le portefeuille .
Nous ne pouvons nous empêcher de penser ici à une tragédie semblable, celle du Vel d’Hiv, relatée dans le livre de Claude Lévy et Paul Tillard, que nous lisons en ce moment. Nous constatons amèrement que de Gaulle n’en parle jamais dans ses écrits et discours, pas plus que des camps allemands, pas plus que des Harkis, ni du sort des Européens d’Algérie ( 14).
« La folie tourne à plein régime. Des hordes de Musulmans parcourent les rues tirant en l’air ou visant les balcons » ( 15 ).
Les pieds-Noirs jettent par les fenêtres ce qu’ils ne peuvent emporter : meubles, frigos, machines à laver. Les familles sont expulsées manu militari, laissant parfois la place encore chaude à une famille arabe qui vient derrière eux, surveillée par des soldats du FLN. Elles abandonnent tous leurs souvenirs.
« Je regarde chaque objet comme un ami mourant. Je vais tout perdre, mes amis, mon cadre familier, cette ville que j’aime. Pauvre ville qui piétine en chaînes interminables devant les compagnies de transport, les banques, les bureaux de Poste, les magasins d’alimentation, entre les tas d’ordures et les verres brisés, et la traînée sinistre des incendies ».
Eteindre la lumière, fermer la porte, tourner la clé dans la serrure une dernière fois, « tourner le dos aux siens gisant dans le cimetière »… On ne peut imaginer la détresse de ces Français d’Algérie chassés de leur pays.
Il faut vraiment citer ces lignes :
« J’ai regardé longuement la maison où mes parents avaient toujours vécu, et qu’ils nous avaient donnée pour notre mariage. C’était là que nos enfants étaient nés, où nous avions été heureux. Je ne pouvais pas me dire que c’était fini, que ce serait la maison d’un autre, que cette maison vivrait sans nous » ( 16 ).
Le scandale s’amplifie par la suite : car, pour le rapatriement des Pieds-Noirs d’Algérie, le gouvernement français n’avait rien prévu. Il avait même fait réduire volontairement le nombre de vols d’Air-France, par crainte d’une arrivée massive de millions d’Algériens sur le territoire.
Les bateaux sont alors pris d’assaut ( 17 ) et, dans les aéroports, les gens attendent des journées et des nuits entières, avec enfants et bagages. Il y a parfois des bébés et des personnes handicapées. Certaines familles ont attendu quatre jours.
« De quelle indignité les Français d’Algérie se sont-ils rendus coupables pour se voir ainsi reniés par le pouvoir politique et l’administration républicaine ? » ( 18 ). Aucune organisation pour leur départ, aucun encadrement administratif, civil ou militaire : « Personne ne leur vient en aide. Les représentants de la France ont disparu » ( 19 ).
« Adieu mon pays, je ne te reverrai plus ! » ( 20 ).
Mais le pire est à venir, car en France ces « réfugiés » sont mal accueillis. On ne les comprend pas : « Dès les premiers jours, je devenais fou lorsque j’entendais toutes les bêtises qui se disaient sur l’Algérie… Je passais mon temps à rétablir la vérité, à corriger les énormité dues à la propagande honteuse qui avait été faite contre nous » ( 21 ).
Un sondage de 1962 avait révélé que 60 % des Français refusaient d’aider ces Européens d’Algérie débarquant en métropole ( 22 ).
Dès leur arrivée, ils sont astreints à des formalités interminables, au point qu’ils ont le sentiment de devoir mendier la faveur de la France ( 23 ).
Ils sont humiliés et discriminés dans ce pays de la fraternité et des droits humains ( 24 ). « Nous nous sommes retrouvés avec près de cent familles dans un lycée de Versailles, de juillet à septembre 1962 » ( 25 ). Une pagaille qui nous rappelle le Vel d’Hiv de 1942, drame auquel nous avons fait allusion ci-dessus ( 26 ).
Ainsi, bien que Français et partageant avec nous les mêmes valeurs, les pieds-Noirs, comme les Juifs d’alors, se sont sentis étrangers en France. Beaucoup ont admiré le courage dont ils on fait preuve pour s’intégrer, surtout professionnellement. Car leur détermination leur a permis de créer, dès 1963, 360.000 emplois. Ils apparaissent alors comme une chance pour la France, « redonnant vie à des régions qui étaient en sommeil, redynamisant des villes vieillissantes » ( 27 ). Ce sont même, semble-t-il, les plus pauvres qui se sont le mieux affirmés professionnellement ( 28 ).
Ce qui, en conclusion, nous a frappés le plus, dans ces quatre études sur la guerre d’Algérie, c’était, avec la veulerie du gouvernement d’alors, l’attitude de l’armée française.
Tour à tour persécutant, torturant et liquidant les partisans de l’indépendance algérienne, y compris l’intelligentsia communiste, et ensuite les militants et sympathisants de l’Algérie française, avec des méthodes semblables ; enfin abandonnant ( le fallait-il vraiment ? ) les Harkis et les Pieds-Noirs au FLN après le cessez-le-feu, ne leur conférant ni aide ni protection lors du grand exode, ou empêchant même leur retour en France, l’armée française a eu tout intérêt à faire oublier les pages honteuses de la guerre d’Algérie. Et si les anciens combattants défilent maintenant en bérets rouges et verts, bardés de médailles et couverts de drapeaux, ils savent qu’il est difficile de se vanter d’une telle guerre.
D.V.
APPENDICE :
Un précédent à la tragédie des Pieds-Noirs a été, comme nous venons de le mentionner, celle qui a frappé les Juifs en France, lors de la rafle du Vel d’Hiv en juillet 1942 :
« Qui sont ces juifs étrangers, amenés ici par la police française, sous les ordres de fonctionnaires français, pour y souffrir et s’en aller vers la mort ?
La rafle du 16 juillet s’est abattue sur une population bien déterminée (…) : des juifs étrangers et apatrides, dont une grande majorité de femmes, d’enfants, de personnes âgées, la plupart des hommes adultes ayant déjà été arrêtés.
En France depuis quelques années, parfois dix, vingt, trente ans, ces gens sont pleins du désir de s’intégrer à la population française. S’ils y sont déjà attachés par de nombreux liens : enfants français nés en France et élevés avec leurs camarades français, mariages, fiançailles, amitiés, relations, voisinage, etc., certains gardent encore quelques traits qui leur conservent un incontestable particularisme : un accent, quelques traditions, quelques coutumes…(…)
Quand on leur a dit qu’ils allaient être persécutés en France comme ailleurs, ils ne l’ont pas cru. Et aussi beaucoup de ceux qui avaient entendu parler de l’imminence d’une rafle se demandaient bien ce qu’ils pouvaient faire. (…) Ils parlaient mal le français, leur accent pouvait les trahir à chaque instant. Ils n’avaient pas non plus d’attaches familiales nombreuses dans ce pays, de cousins à la campagne qui puissent les héberger. Et le problème de la survie ? Comment travailler, et vivre, pour une femme juive, avec ses enfants, sans papiers, dans la France policière et occupée ?
Une grande tristesse dissolvait leur résolution, émoussait leur combativité et les inclinait au découragement. Ils avaient choisi la France en raison d’une certaine idée qu’ils avaient d’elle. Depuis le début du siècle, pour ces juifs comme pour d’innombrables autres étrangers, c’était une ‘marche à l’Etoile’.
Alors, si les Français eux-mêmes !... Que faire ? L’impossibilité était non seulement d’ordre pratique, géographique, économique, mais aussi sentimentale, morale. Il y a des déceptions qui laissent désarmés et pantois. » ( 29 ).
N O T E S :
( 1 ) Raphaêl Delpard : L’Histoire des Pieds-Noirs d’Algérie. Ed. Michel Lafon, 2002, p. 257.
( 2 ) « Les enlèvements suscitent l’épouvante ». Sont exposés : « Les ouvriers qui partent tôt, reviennent tard. Gare aux isolés. Les automobilistes rentrant à la nuit tombée, les travailleurs attendant l’autobus en des lieux peu fréquentés, courent un danger mortel. Rapidement, les quartiers populaires se vident » (Jean Monneret : La phase finale de la guerre d’Algérie. Ed. L’Harmattan, 2000). Cité par R. Delpard, op.cit., p. 257
( 3 ) p. 259.
( 4 ) p. 251.
( 5 ) p. 251.
( 6 ) p. 252.
( 7 ) Geneviève de Tournant : L’Agonie d’Oran. Mentionné ici par R. Delpard.
( 8 ) p. 253.
( 9 ) p. 260.
( 10 ) p. 260.
( 11 ) « Du jour où le père écrit au consul de France à Mostaganem, il ne reçoit plus de lettres du fils et les démarches restent sans suite » (p. 261).
( 12 ) p. 261.
( 13 ) p. 261.
( 14 ) Claude Lévy et Paul Tillard : Ce jour-là, 16 juillet 1942. La grande rafle du Vel d’Hiv. Ed. Robert Laffont, 1992.
( 15 ) p. 265.
( 16 ) p. 266, citant Danielle Michel-Chich : Déracinés. Ed. Calmann-Lévy, 1990.
( 17 ) p. 267, citant Francine Dessaigne : La Paix pour dix ans. Ed. Jacques Gandini, 1990.
( 18 ) p. 267.
( 19 ) p. 268.
( 20 ) p. 269, citant Anne Lanta : Algérie, ma mémoire. Ed. Bouchene, 2000.
( 21 ) p. 271, citant Jean-Marc Lopez, sans références.
( 22 ) p. 272.
( 23 ) p. 273.
( 24 ) « Charles de Gaulle les considère comme des vacanciers. Il n’a donc pas jugé utile de mettre en place aux aéroports et dans les ports, une structure d’accueil », op.cit. p. 272.
( 25 ) J.M. Lopez, cité p. 273.
( 26 ) Voir ci-dessus, note 14. « Certains ont assisté au départ d’une famille en larmes, à la séparation des parents et des enfants, à des suicides. (…) Mais les gens qui sont là étaient venus chercher asile en France, terre de liberté, terre d’égalité des droits, du respect de la personne humaine. Les arrestations ont été faites par des policiers français » (Claude Lévy, La grande rafle… op. cit. pp. 55 et 63 ).
( 27 ) p. 275.
( 28 ) p. 276, citant un journaliste de France-Soir, sans références.
( 29 ) Claude Lévy et Paul Tillard : La grande rafle… op.cit. pp. 116 – 117.
L A P H R A S E D U M O I S :
« La première réaction de ceux qui assistent, impuissants et désespérés (à cette histoire), c’est de ‘faire savoir’. Il faut que l’on sache. Il ne faut pas que ce soit étouffé. Il faut que l’opinion soit informée, tout de suite ».
Claude Lévy ( La grande rafle du Vel d’Hiv, op.cit. p. 184).
Peut-être qu’au cours de l’Histoire, comme pour les tremblements de terre, il y a des répliques. Il est bon de le savoir, pour les prévenir ou s’en prémunir.
C’est pourquoi, ceux qui détruisent ces études et ces mensuels, sont doublement inconscients.
Ils empêchent à la fois l’information et sa transmission.
En effet, des paquets entiers du numéro 53 de La Voix..., consacré aux Harkis, ont été volés à deux reprises, et retrouvés jonchant le sol, place des Tisserands, ainsi que dans les poubelles de notre ville. C’est une nouvelle offense aux victimes de cette guerre atroce, et un affront aux familles des Français d’Algérie qui se trouvent depuis soixante ans parmi nous. Ce n’est pas un honneur pour la ville de Ste Marie-aux-Mines. Merci à l’amie qui les a ramassés.
S’il en va de même pour les exemplaires du mois de juin où nous établissons un parallèle entre le drame des Pieds-Noirs et la persécution des Juifs français, ou pour l’édition de juillet, qui sera consacrée au sort des enfants juifs en France sous l’Occupation, nous porterons plainte auprès de la Communauté juive de France.
D.V.
Château d’Argent : transmettre le savoir.
La Voix dans le Désert. Mensuel gratuit du Château d’Argent.
Directrice de publication : Danielle Vincent.
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Dépôt légal : 2er trimestre 2023.
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