Musée du Chateau d'Argent

Journal décembre 2020

L A  V O I X   D A N S   L E   D E S E R T 
Mensuel du Château d’Argent - N° 21 - Décembre 2020
 

U N E   B E L L E   H I S T O I R E   D’ A M O U R  : 

L E N I N E   E T   N A D E J D A   K R O U P S K A Ï A. 

Vladimir Ilitch Oulianov, dit Lénine, était né dans une famille juive, à Oulianovsk, anciennement Simbirsk, en moyenne  Volga, le 22 avril 187O. Son père était inspecteur des Ecoles. Dès l’adolescence, le jeune Vladimir est confronté à la révolte contre le pouvoir en place. Il a dix-sept ans lorsque son frère est pendu pour avoir participé à un complot contre le tsar Alexandre III.
A l’université, où il fait son droit, il étudie en secret les ouvrages de Karl Marx, qui sont interdits, et rejoint les cercles révolutionnaires. Il exerce la profession d’avocat à Samara (devenu Kouibytchev) sur la Volga, mais est arrêté en 1897 à cause de son militantisme, et déporté au fond de la Sibérie, près du fleuve Léna, d’où il prend  son pseudonyme de Lénine.
C’est là qu’il épouse, un an plus tard, en juillet 1898, Nadejda Kroupskaïa. Une belle histoire d’amour.
 
 Fille d’un officier de carrière, née  le 26 février 1869 à Saint-Pétersbourg, Nadejda décide de se consacrer à l’enseignement.  Brillante intelligence,  sa grande ouverture d’esprit fait qu’elle se passionne dès l’adolescence pour les idées nouvelles. En dépit de la censure, elle étudie Karl Marx, s’engage politiquement avec un groupe d’étudiants marxistes, et socialement en s’occupant des pauvres et de leur éducation.  A Saint-Pétersbourg, elle donne des cours du soir aux ouvriers et aux enfants.  Dans ces milieux populaires, elle milite pour la doctrine marxiste et découvre, en 1893, les écrits de Vladimir Oulianov. Elle le rencontre à l’une de ses conférences, est frappée par leur convergence de vues, et adhère à « L’Union de lutte pour la libération de la classe ouvrière »  qu’il avait fondée à Saint-Pétersbourg.  Ils ne se quittent plus.  Elle devient sa secrétaire et son impresario.
 
A son tour, elle est condamnée en 1896, et envoyée en Bachkirie près de l’Oural, à Chouchenskoïe.  Des milliers de kilomètres la séparent de Vladimir.  Pour  obtenir l’autorisation de le rejoindre, elle se fait passer pour sa fiancée et peut partir dès le mois de mai 1898. Elle fait six mille kilomètres en train et trois jours de traîneau.  Son voyage dure trois mois.  Nadejda et Lénine partageront l’exil en Sibérie pendant un an et demi.
 
Quand son mari est libéré, en février 19OO, elle quitte la Russie avec lui et le couple s’installe à Munich.   Ils publient ensemble un journal de propagande, « Iskra » (« L’étincelle ») dont elle est la secrétaire.  En 19O2, Lénine et « Nadia », rejointe par sa mère Elizaveta, s’en vont à Londres. Leiba Bronstein, dit Trotzki, évadé de  captivité en Sibérie, se joint à eux.
Nouvelle étape :  Genève, en  19O3. La  ville devient le lieu d’édition d’Iskra. Mais le journal est bientôt monopolisé par le parti concurrent, celui des Menchéviques.  Lénine crée alors un nouveau papier intitulé :  « En avant ». (« vpered »)
Une vie d’errance s’éternise après 19O5, avec des séjours en Russie, où Nadia devient secrétaire du Comité central ; en Finlande, en Allemagne, en Suisse, à Paris dès 19O8, en Pologne en 1912, et de nouveau en Suisse pendant la guerre. Au cours de ces années, le parti bolchevik de Lénine se structure et gagne en importance.
Nadia complète cette activité politique par des initiatives d’avant-garde, peut-être plus importantes encore :  elle milite pour les droits de la femme et pour la création, avec Clara Zetkin, d’une « Journée internationale des Femmes ».  Lénine concrétisera  ce projet et fixera cette journée au 8 mars en Russie, à partir de l’année 1921.  Cette date sera reprise ensuite par d’autres pays.  Droit au divorce, à l’avortement et même aux unions homosexuelles sont déjà au programme,  près d’un siècle avant l’Occident.
En même temps, Nadia profite des bibliothèques européennes pour approfondir sa connaissance des grands penseurs et pédagogues, notamment Jean-Jacques Rousseau.
 
Elle écrit une quarantaine d’ouvrages sur le thème de l’éducation et son orientation politique l’amène à appliquer ses idéaux au monde ouvrier. Elle fait ainsi entrer l’école et l’université dans les couches populaires, dont celles-ci étaient le plus souvent éloignées. L’éducation et la formation professionnelle de la classe ouvrière,  l’alphabétisation de l’ensemble du peuple et la scolarisation des jeunes  deviennent, à ses yeux,  comme pour Victor Hugo qu’elle avait lu, les leviers du progrès et d’une transformation du monde.  C’était aussi l’idéal de Karl Marx.
 
En mars 1917, Nadia  retourne en Russie avec Lénine et le parti bolchévique désormais victorieux.  On est à quelques mois de la Révolution d’octobre.
Elle devient adjointe du Commissaire du peuple à l’Education.  
Depuis cet été de 1918 où Lénine avait été victime d’une tentative d’assassinat,  Nadja le soigne inlassablement jusqu’à sa mort.  Le 3O août 1918, en effet, Fanny Kaplan, une militante du parti des Socialistes révolutionnaires, tire trois balles sur Lénine  à sa sortie de l’usine Michelson de Moscou, qu’il vient de visiter :  la première ne l’atteint pas, mais les deux autres se logent dans l’épaule et le poumon. Sa santé se détériore. Il  fait un accident vasculaire cérébral en 1923  qui le laisse hémiplégique et paralysé de la parole. Un  autre AVC survient le 21 janvier 1924, entraînant sa mort.
 
Nadejda  poursuivit son œuvre éducative encore longtemps après la mort de Lénine.  Son objectif  de relever le niveau d’instruction du peuple a été réalisé en moins de vingt ans . Dès 1919 où l’instruction obligatoire a été institutionnalisée en Russie,  « près de soixante millions d’adultes apprennent à lire et à écrire, tandis que la quasi-totalité de la jeunesse est  scolarisée »   peut-on lire dans  un article  d’internet qui lui est consacré.
 
Après la mort de Lénine, l’entente avec son successeur Staline fut mauvaise. Nadia ne cessa pas cependant son activité politique comme déléguée à tous les  congrès du Parti.
 Atteinte d’une affection de la thyroïde, peut-être de la maladie de Basedow, qui aurait expliqué pourquoi le couple n’avait pas eu d’enfants, l’épouse d’Ilitch, ainsi qu’elle le nommait toujours, rejoignit son mari quinze ans après sa mort, le 27 février 1939.
 
En dehors des cercles du Parti, qui se souvient  de cette femme ?   Qui en a entendu parler ?
Qui sait que c’est elle qui a, une des premières, prôné les idées qui sont d’actualité seulement ces dernières années, problématiques toujours pas résolues ni vraiment appliquées, comme l’émancipation de la femme, l’égalité des sexes, la nécessaire formation et la formation continue des apprentis, des ouvriers, l’éducation du peuple, la mise à son niveau de la culture, aussi de la culture universitaire, alors exclusivement réservée à la bourgeoisie ?
Il est des injustices de l’Histoire, des discriminations de la Mémoire, parce qu’on était une femme, parce qu’on appartenait à telle tendance politique, parce qu’on était d’un autre pays, très loin…   
Son idéal pédagogique a été celui qui,  vers la fin du XIXe siècle, était vivace dans les milieux de l’intelligentia russe. C’était un phénomène capital  qui avait vu le jour au sein des milieux étudiants de l’époque :  l’idée qu’il fallait instruire les petites gens, les sensibiliser aux idées révolutionnaires et marxistes, et, dans ce but, se mettre à leur niveau, se mêler à eux, placer le ferment dans leurs propres racines.  On donna à ce mouvement le nom, aujourd’hui vilipendé, de « Populisme ».  Ce populisme fut perçu par l’Etat impérial comme un danger et fut durement réprimé. Mais il s’aggrava d’autant plus et  devint la ligne de pensée maîtresse du Bolchevisme,  persuadé qu’il faudra bien un jour que l’humanité sorte de la fange.
 
Citons quelques oeuvres en français de Nadejda Kroupskaîa :
 
Le Travail d’instruction politique  dans la Russie soviétique  (192O).
Cinq ans (1922).
Comment Lénine vivait à  l’étranger (1922)
De l’émigration à Pétrograd (1922)
A propos du passage de Lénine par l’Allemagne  (1922)
Souvenirs sur Lénine (1926)
 
Bien davantage ont paru en russe :
 
N.Kroupskaïa,  Ouvrages pédagogiques en 1O volumes. Editions de l’Académie pédagogique et des Sciences de la RSFSR (République socialiste fédérative soviétique de Russie), 1963.
 
Œuvres de Lénine :
 
Que faire ?  (19O2)
L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme  (1917)
L’Etat et la Révolution  (1917)
Discours d’ouverture du 1er congrès de l’Internationale communiste (1919)
Chez Lénine et Trotski, préface (1922).
 
Le présent exposé est tiré de notre conférence du 8 janvier 2O17.  Il s’agissait d’un cycle de sept conférences sur la Révolution russe, données à Ste Marie-aux-Mines, du 4 décembre 2O17 au 4 juin 2O18. 
                                                                                                                        Danielle Vincent.
 L A    P H R A S E    D U    MO I S :
 
   « La richesse d’un pays, la puissance d’un peuple, se mesure à la quantité et à la qualité de son potentiel intellectuel. La révolution n’a un sens que si elle favorise la croissance et le développement de ce potentiel. »
 
Maxime Gorki
(Lettre à Lénine du 6 septembre 1919.) 
 
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Directrice de publication : Danielle Vincent.
Editions du Château d’Argent, 185 rue De Lattre de Tassigny, 6816O Ste Marie-aux-Mines.
Mise en page et impression : ZAPA Informatique.
ISSN :  265O-7225.
Dépôt légal :  4e trimestre 2O2O.