Musée du Chateau d'Argent

Journal février 2023

Mensuel du Château dArgent - N° 50 - Janvier 2023.  

Charles de Gaulle, lanceur d'alerte.

« Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France ». De Gaulle ouvre, par cette phrase, ses Mémoires de Guerre ( 1  ).
Mais il continue : « S’il advient que la médiocrité marque, pourtant, ses faits et gestes, j’en éprouve la sensation d’une absurde anomalie, imputable aux fautes des Français, non au génie de la patrie » ( 2  ).
 
La « médiocrité des faits et gestes »  des Français s’était manifestée à ses yeux sur trois tableaux, dans les années précédant la deuxième guerre mondiale :
La politique, l’armée et la mentalité régnant en France après la victoire de 1918.
 
Humiliante était, devant le monde entier, l’instabilité chronique de la situation politique depuis 1933, au moins. Nous prendrons cette année comme point de départ de notre exposé, parce qu’elle correspond à un changement majeur dans l’histoire du monde : l’arrivée d’Hitler à la chancellerie allemande.
Cela commence le 23 octobre 1933, lorsque le ministère Edouard Daladier est renversé par les radicaux-socialistes avec Albert Sarraut. Un mois plus tard le gouvernement Sarraut est renversé (23 novembre 1933), à la faveur du ministère Camille Chautemps  qui doit démissionner en janvier 1934 à cause d’une affaire de corruption : l’affaire Stavisky (  3 ) . L’affaire Stavisky entraîne la démission de plusieurs ministres tandis qu’Albert Lebrun est président de la République et Louis Barthou ministre des Affaires étrangères. Il est remplacé le 27 janvier 1934 par Daladier, qui démissionne à son tour le 9 février 1934, remplacé par le cabinet Gaston Doumergue, avec Albert Sarraut comme ministre de l’Intérieur. Le 8 novembre 1934 le cabinet Doumergue démissionne et c’est Pierre-Etienne Flandrin qui lui succède le même mois. Il est à son tour remplacé par le ministère Bouisson, qui démissionne le 4 juin 1935. Le ministère Pierre Laval le remplace le 7 juin 1935 mais reste à peine huit mois et démissionne le 22 janvier 1936. Le chef du Parti socialiste SFIO Léon Blum est élu le 26 avril 1936 et succède à Albert Sarraut comme président du Conseil. Il constitue un gouvernement de Front populaire.
Léon Blum défend les droits des syndicats, veut soustraire la Banque de France à l’influence des grands actionnaires, crée un fonds d’assurance contre le chômage, réduit la durée du temps de travail à 40 heures par semaine et instaure deux semaines de congés payés par an (ce seront les Accords de Matignon) ; il nationalise les usines d’armement et dissout les mouvements d’extrême-droite le 18 juin 1936 : les Croix de Feu, l’Action française et sa Fédération d’étudiants, les Camelots du Roi, tous ces partis dont de Gaulle et sa famille partageaient l’idéologie (  4 ).
Mais, suite à de grandes grèves, le cabinet de Front populaire démissionne le 21 juin 1937. Il est remplacé par Camille Chautemps - 102e ministre de la IIIe République - qui démissionne six mois plus tard, le 14 janvier 1938 suite à des intrigues gouvernementales, la dévaluation du franc, un attentat à la bombe contre les organisations patronales et des grèves générales. 
 
Un deuxième ministère de Front populaire avec Léon Blum le remplace, mais celui-ci démissionne à son tour le 18 janvier 1938, laissant la place à un nouveau cabinet Chautemps d’Union nationale, qui démissionne le 10 mars 1938. Edouard Daladier forme un nouveau cabinet le 10 avril 1938.
Suite aux événements internationaux, notamment à l’entrée des troupes allemandes en Bohème, le 15 mars 1939, les pleins pouvoirs sont votés pour le gouvernement Daladier, le 18 mars, tandis que le 5 avril 1939 Albert Lebrun est réélu à la présidence de la République. Dans six mois la France sera en guerre.
 
Pendant toutes ces années, la valse des ministres était orchestrée par des grèves, des manifestations, des attentats, des catastrophes ferroviaires et des scandales d’Etat :
Manifestation des ligues d’extrême-droite, contre manifestation communiste et de la CGTU en février 1934 ; grève des partis de gauche et émeutes à Paris faisant 16 morts et 516 blessés, toujours en ce mois de février de la même année ; manifestations du Front populaire, le 14 juillet 1935 ; grève et manifestations des arsenaux de Brest et de Toulon durement réprimées, le 9 août 1935, avec 3 morts et 150 blessés ; occupations d’usines le 11 mai 1936 ; grèves paralysant le port de Marseille, le 27 mai 1936, et s’étendant à tout le pays, avec occupation de lieux de travail comme les imprimeries, les hôtels, les transports, les grands magasins ; manifestations socialistes et communistes à Clichy, dispersées à coups de feu par les Forces de l’ordre, le 16 mars 1937 :  il y aura 5 morts et 300 blessés ; grève générale des salles de spectacle, le 18 avril 1937 ; grève générale des journaux, le 1er mai ; attentats à la bombe contre les sièges des organisations patronales, le 12 septembre 1937 ; grève générale des services publics à Paris, le 29 décembre 1937 ; occupation des usines Citroën par 30.000 ouvriers, le 24 mars 1938 ; occupation, le 13 avril 1938 de 213 usines automobiles, avec grève de 157.000 ouvriers. Une nouvelle dévaluation du Franc intervient le 4 mai 1938 : une Livre-sterling équivaut à 179 Francs. Le 16 mai de la même année, le ministre Paul Marchandeau lance un emprunt pour la Défense nationale de cinq milliards de Francs.
Malgré la menace de plus en plus précise d’une guerre, les grèves en France ne s’arrêtent pas : le 30 novembre 1938, la grève générale appelée par la CGT est réprimée violemment ;
le 3 décembre, les marins du Havre se mettent en grève, immobilisant vingt navires français dont le Normandie. Le 4 janvier 1939 : grève des cinémas parisiens contre la taxe municipale trop élevée.
Les événements internationaux prennent alors le pas sur les conflits internes français. Le 1er septembre 1939 la mobilisation générale est décrétée ; le 2, des crédits de guerre sont votés et
le 3 septembre, la France et le Royaume-Uni déclarent la guerre à l’Allemagne.
 
« Le caractère du peuple français l’expose à être surpris au début de chaque conflit » (  5 ). Car « l’erreur habituelle à notre politique s’appelle : la facilité » ( 6 ). « Conformément aux habitudes, le régime incapable d’adopter les mesures qui eussent assuré son salut, mais cherchant à donner le change à lui-même et à l’opinion, ouvrit une crise ministérielle » ( 7 ).
Car, pendant ce temps les avertissements n’avaient pas manqué.
Hitler devient chancelier le 30 janvier 1933. L’Allemagne se retire de la Société des Nations.
Elle se met à construire des autoroutes dès le mois de mars 1934. Au même moment elle effectue les premiers essais radar sous l’impulsion de Rudolf Kühhold ; établit une ligne aéropostale de Berlin au Brésil ; décide, en juin 1934, de ne plus payer les réparations de guerre ; instaure la journée de travail de huit heures (17 février 1925), et rétablit le service militaire obligatoire (16 mars 1935). A la suite d’une entrevue avec Ferdinand Porsche, en février 1936, Hitler a l’idée de faire construire une « voiture du peuple » ; la Volkswagen doit 
 
sortir des ateliers de F allersleben, en Basse-Saxe. Pour son armée, il veut créer 36 divisions, soit 500.000 hommes prêts à combattre, et constitue avec Goering une armée de l’air puissante et offensive. Churchill, inquiet, demande le renforcement de l’aviation britannique et le rééquipement de l’armée. La Sarre redevient allemande par referendum, le 13 janvier 1935. Hitler annonce au journal France-Soir son intention de récupérer les anciennes colonies allemandes, ainsi que les territoires perdus en 1918 (25 janvier 1936).
De Gaulle dénonce, en France, « l’aveuglement d’un régime qui poursuivait ses jeux absurdes en face d’un Reich prêt à bondir » ( 8  ). Il faut dire pourtant que, dans notre pays, la durée du service militaire avait été doublée en mars 1935 et fixée à 24 mois.
La Société des Nations est restée passive devant la montée en puissance de l’Allemagne, se contentant de « protestations platoniques » (  9 ).
La seconde guerre mondiale se déclenche, en fait, le 7 mars 1936, lorsque les troupes allemandes s’avancent en Rhénanie, une occupation qui est approuvée en Allemagne par plus de 44 millions de voix. « Notre organisation, la nature de nos moyens, l’esprit même de notre défense nationale sollicitèrent vers l’inaction un pouvoir qui n’y était que trop porté… Il n’y avait pas à attendre une riposte de la France : le Führer en était sûr, le monde entier le constata. Le Reich, au lieu de se voir contraint de retirer ses troupes aventurées, les établit sans coup férir dans tout le territoire rhénan » ( 10  ).
Hitler déclare la nullité du Pacte d’assistance mutuelle de Locarno qui, le 16 octobre 1925, avait été signé par Hans Luther, alors chancelier d’Allemagne et Gustav Streseman ministre des Affaires étrangères allemand : dans ce Pacte, l’Allemagne renonçait explicitement et volontairement à l’Alsace-Lorraine. Sur l’initiative d’Aristide Briand, le Pacte était conclu entre la France, la Grande Bretagne avec Chamberlin, l’Italie avec Mussolini, la Belgique avec Emil Vanderveld, la Tchéquie avec Eduard Benès. « C’est la collaboration entre les pays qui s’ouvre, les Etats-Unis d’Europe commencent » avait dit Aristide Briand ( 11 ).
Quand Hitler entre à Vienne, le 11 mars 1938 : « En France, loin de tenir compte de cette rude démonstration, on s’appliqua à rassurer le public par la description ironique des pannes subies par quelques chars allemands au cours de cette marche forcée » ( 12 )
Le 28 mai 1938, l’Allemagne renforce ses armées de terre et de l’air et entreprend la construction de la ligne Siegfried. Le 22 juin, elle instaure un service de travail obligatoire général pour pallier le manque de main d’œuvre.
Alors que la guerre civile débute en Espagne, Léon Blum décide, le 1er août 1936, que la France n’interviendra pas. Elle décide cependant une mobilisation partielle, le 26 septembre 1938, de concert avec la Grande-Bretagne et la Belgique.
Mais elle n’interviendra pas non plus sur le sort de la Tchécoslovaquie et l’occupation des Sudètes (1er octobre 1938), et se réfugiera derrière les accords de Munich, conclus avec l’Allemagne, l’Italie et l’Angleterre le 30 septembre 1938.
En novembre 1938 la politique anti-juive allemande se révèle pleinement avec la Nuit de Cristal (9 novembre). Cela n’empêche pas la France de conclure, le 6 décembre un Accord de bonne entente avec l’Allemagne, et de reconnaître « solennellement comme définitive la frontière entre leurs pays telle qu’elle est tracée actuellement », c'est-à-dire avec l’occupation allemande de la rive droite du Rhin.
Le 8 décembre 1938 est inauguré, à Kiel, le premier porte-avions allemand : le Graf Zeppelin. Quelques mois plus tard, sera mis à l’eau le cuirassé Bismarck.
Le 1er janvier 1939, les jeunes filles allemandes de moins de 25 ans sont embrigadées pour un service civil d’un an. L’étau se resserre sur les Juifs ; ils sont interdits d’exercer certaines professions médicales : dentistes, pharmaciens, vétérinaires (décret-loi du 17 janvier 1939).
Le 15 mars, les troupes allemandes entrent en Bohème.
La Pologne attend son tour, le couloir de Dantzig étant fort convoité par l’Allemagne. Chamberlin se veut rassurant : « En cas d’agression mettant en danger l’indépendance polonaise, le gouvernement de Sa Majesté se considérerait comme tenu immédiatement de soutenir la Pologne par tous les moyens… L’attitude du gouvernement français est la même que la nôtre » (31 mars 1939). Et de signer, le 6 avril, un Accord anglo-polonais de défense mutuelle. Le 23 mai, Hitler dévoile à ses généraux son plan d’invasion de la Pologne et signe, le 23 août, un Pacte de non- agression avec la Russie.
Quatre jours plus tard est lancé par l’Allemagne le premier avion à réaction, le Heinkel HE 178, d’une vitesse de vol de 750 km/h.
Un ultimatum est adressé le 29 août à la Pologne par l’Allemagne, qui revendique la cession du couloir de Dantzig et la tenue d’un referendum à ce sujet. La Pologne mobilise le jour suivant.
L’Allemagne mobilise alors un million et demi d’hommes, 105 divisions, 3.200 blindés dont six divisions de Panzer ayant chacune sa propre artillerie et son aviation. 2.500 appareils constituent la Luftwaffe.
Personne n’est venu au secours de la Pologne, aussi envahie à l’Est par la Russie qui voulait récupérer ses anciens territoires. La France n’avait pas su équiper l’armée polonaise  qui, munie de lances, s’était précipitée à cheval contre les blindés allemands. Les promesses de Chamberlin étaient restées lettre-morte. L’Italie déclara sa non-belligérance le 1er septembre ; la Belgique sa neutralité le 3 ; Les Etats-Unis proclamèrent leur neutralité le 5 septembre.
Le gouvernement polonais s’enfuit en Roumanie le 17 septembre et la Pologne capitula le 29.
53 divisions allemandes avaient attaqué en Pologne, dont 6 divisions blindées, 4 motorisées, et 4 comportant des chars d’assaut. L’armée polonaise n’avait que 30 divisions d’infanterie, 40 régiments d’artillerie, 37 régiments de cavalerie, des chars et des avions anciens, peu de forces navales. ( 13  ).
 
Une guerre de retard. C’est précisément ce que de Gaulle avait déploré, en France, dès la rédaction de son livre : Vers l’Armée de métier, publié à Paris, chez Berger-Levrault en 1934.
En déclarant la guerre à l’Allemagne, le 3 septembre, la France avait voulu respecter les accords de Locarno. Mais elle n’en avait pas les moyens. Ou plutôt, elle ne s’en était pas donné les moyens. « Une bataille perdue ? » disait Joffre, « en un mot : trop tard ». Occupée par son instabilité gouvernementale, ses grèves, mais également axée sur son passé comme étant pour elle la norme de l’avenir, elle se reposait sur ses lauriers, sur les accords de paix, et ne voyait rien venir : « La foule quitte malaisément les conceptions une fois acquises, et la plupart des spécialistes s’en tiennent aux idées-reçues » ( 14 ).
« Une certaine idée de la France » se révèle dans le livre : Vers l’Armée de métier dont nous citerons quelques extraits :
« Cette nation si mal protégée, du moins se tient-elle en garde ? La voit-on capable de déployer de but en blanc toute sa force guerrière ? Frappe-t-elle à bon escient dès les premiers coups ? Vingt siècles répondent que non ! » ( 15 ).
Les Français montrent beaucoup de passion, mais peu de constance . Leur action en commun est inégale et malaisée ( 16  ). « Ce peuple doctrinal court à l’épreuve nouvelle tout bardé de principes, le bandeau lui couvrant les yeux » ( 17 ).
Certains passages sont prophétiques : « Le démon… qui jetait la France des Droits de l’Homme dans la lutte… au pire moment de notre désorganisation militaire… » (  18 ). « Nous ne pouvons nous en remettre, pour supporter les premiers chocs, à la défensive hâtive de formations mal assurées » (  19 ), à des gens sans expérience ni cohésion, à une armée « s’enveloppant d’apparences et de perpétuels à-peu-près » (  20 ).
De Gaulle avait insisté sur la nécessité d’avoir, dans l’armée, un personnel professionnel formé pendant six ans (  21 ) et des chars modernes en grand nombre : « Demain, l’armée de métier roulera tout entière sur des chenilles » ( 22  ).
Les chars français étaient des Renault et des Hotchkiss de type 1935, lents, lourds, armés de petits canons courts, « faits pour accompagner le combat de l’infanterie mais pas du tout pour constituer un ensemble autonome de grandes unités » (  23 ). Hitler avait pu reconstituer une armée puissante en s’inspirant des idées de de Gaulle, dès 1a parution de son livre sur l’armée de métier, en 1934 ( 24 ). Mais la France était plongée dans une incroyable apathie et aucune voix ne s’élevait pour réclamer qu’elle soit dotée de la même force militaire que l’Allemagne : « L’enjeu était tel qu’il ne me parut pas permis de me réserver, si minces que fussent mon importance et ma notoriété » (  25 ) De Gaulle s’adresse aux journaux pour faire connaître ses idées et interpeller les autorités dont dépendait la réforme de l’armée : L’Echo de Paris, L’Epoque, Le Temps, le Journal des Débats, L’Ordre, L’Aube. Mais l’indifférence étouffait obstinément les cris d’alarme des journaux : « Le bloc des faits acquis était trop compact pour qu’on pût l’entamer à coups d’articles de presse » ( 26  ).
L’auteur s’adresse alors à son ami Paul Reynaud, qui soulève le sujet à la Chambre des députés le 15 mars 1935 et avait lui-aussi écrit un livre sur Le problème militaire français.
Mais à part quelques sympathisants comme Paul Boncour et le président du Sénat Millerand, « les organismes officiels s’accrochèrent au système en vigueur » ( 27 ) contestant la nécessité d’une évolution technique et déformant la pensée de l’auteur. « Pour résister aux événements, ils affectèrent de les ignorer » ( 28 ).
Pour le chef d’Etat-major , le général Debeney, il suffisait de tenir solidement, avec la ligne Maginot, la frontière nord-est. Weygand disait aussi qu’à son avis, il ne nous manquait rien. Et Pétain : « Les chars et les avions ne modifieraient pas les données de la guerre. L’élément principal de la sécurité française est le front continu étayé par la fortification » (  29 ). Un autre général, trois étoiles écrivait dans le Mercure de France : « La France pacifique et défensive ne peut être que contr­e- motorisatrice ».
Conclusion de l’Etat-major : « La réforme proposée est inutile, non souhaitable, et a contre elle la logique et l’Histoire » ( 30 ).
« Ces paroles prévenaient en même temps les bons entendeurs d’Europe que, quoi qu’il advînt, la France n’entreprendrait rien d’autre que de garnir la Ligne Maginot » (  31 ).
L’état de l’armée, en 1939, en était la conséquence :
Pas de formation, pas de réseau radio, pas de canons à longue portée, manque à toutes les unités de moyens de transport, d’entretien, de ravitaillement, manque d’infanterie, rien pour répondre aux Stukas. La carence dépassait de loin le manque d’artillerie lourde ( 32  ).
 
Or, le passé doit servir d’avertissement.
Nous allons être en guerre. La Russie ne souhaite que récupérer ses anciens territoires ; elle n’a pas de vues sur l’Europe. Mais nous la contraignons à riposter à nos sanctions, provocations et nos livraisons d’armes à l’Ukraine. L’Allemagne encore une fois, possède et envoie le matériel le plus performant : ses chars qui passent pour être les meilleurs du monde.
Et bientôt ses missiles et ses avions. Mais la France tergiverse : elle n’a pas le matériel voulu et ne peut s’en démunir. En cas d’agression inattendue, elle n’a pas d’armée. La jeunesse ne voudra pas combattre et n’y est pas formée. Les partis de gauche prônent en ce moment l’idéal du non-travail. Ils se déchirent comme avant la guerre. Pour l’idée perdue d’identité nationale, les jeunes ne se battront plus.
Et notre économie ? Citons encore de Gaulle : « Le rendement de notre industrie… ne nous assure aucunement la supériorité quantitative des armements. (…) Pauvres en charbon, privés
de pétrole, de cuivre, de zinc, (on ajouterait à l’heure actuelle : de gaz, d’huile, de céréales, mais aussi d’énergie atomique), adaptés surtout à une production moyenne, nous ne saurions surpasser les fabrications massives de l’industrie lourde (ennemie) » ( 33 ).
Ce qui suit est pire encore :
« Ne pouvant dominer ni par le nombre, ni par les matières, avons-nous du moins de nature, l’aptitude aux actions de masse qui compenserait l’insuffisance de moyens ? Il ne semble pas que l’esprit de discipline, le goût d’être liés, les capacités de série qui font la vigueur massive des hordes, nous soient impartis largement. (…) Nous goûtons peu l’ordre rigide… Nos cortèges marchent en tumulte, le sens unique nous désoblige. De plus, l’abus récent des armes a développé dans notre peuple une psychose anti-guerrière. Doctrines, images, allégories à l’envi répandues, voudraient exorciser les fantômes des combats. Et tandis que cette dépression aggrave les lacunes de notre cohésion guerrière, autour de nous des peuples ambitieux renforcent leurs dispositions naturelles à l’embrigadement » (  34 ).
Et plus loin :
« C’est une chose de braver de loin la mort, d’affirmer ses droits à grands cris, mais c’est autre chose, dans la misère de la guerre, de tirer de soi tous les sacrifices que les hommes peuvent donner » ( 35 ).
 
Compte-tenu des expériences passées et des avertissements du Général, il serait urgent d’être moins idéalistes et d’ôter le bandeau de nos yeux, en nous demandant pourquoi, avec les énormes ressources dont elle dispose, l’Ukraine n’a pas été capable de produire elle-même un matériel militaire performant, alors qu’elle se sait menacée depuis l’invasion de la Crimée, en 2014 ? Les crédits destinés à l’armée sont-ils passés dans des poches ? Il ne serait pas normal que les pays occidentaux se démunissent et risquent une guerre sur leurs propres territoires en voulant compenser les dégâts dus à sa corruption.
En France, voici toujours les querelles de partis, les manifestations, les grèves, les scandales et l’économie en déclin. Si les autres pays consentent maintenant à envoyer à l’Ukraine leurs avions et missiles, pourquoi pas bientôt leurs bombes atomiques, nous avons à peine le temps d’opérer enfin la distinction entre le bon grain et l’ivraie, entre l’essentiel et l’accessoire, pour concentrer toute notre énergie à nous défendre nous-mêmes et à faire perdurer notre propre pays, plutôt que de disperser nos forces à jouer partout dans le monde les chevaliers blancs.
 
Danielle Vincent. 
 
N O T E S  :
 
( 1 ) Publiées aux éditions Plon, 1954, en 3 tomes.
 
( 2 ) op.cit. p. 1.
 
( 3 ) L’affaire Stavisky : En plus d’escroqueries multiples, Alexandre Stavisky, avait fait disparaître 240 millions au Crédit municipal de Bayonne en bénéficiant de hautes protections.
Certaines personnalités étaient sur le point d’être démasquées, quand Stavisky s’est suicidé dans un chalet de Chamonix. Il était prêt à parler, et cette disparition arrangeait beaucoup de monde. On a donc pensé que ce suicide était plutôt un meurtre déguisé. 
 
( 4 ) Philippe de Gaulle le relève dans: De Gaulle mon père (éd. Plon, 2003), p. 433.
 
( 5 ) Mémoires… I, 6.
 
( 6 ) op.cit. p. 41.
 
( 7 ) - p. 25.
 
( 8 ) - p. 21.
 
( 9 ) - p. 12.
 
(10) - p. 18.
 
(11) Le Pacte de Locarno : le 16 octobre 1925, à la conférence de Locarno, en Suisse, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la France, la Belgique et l’Italie s’engagent à respecter les frontières définies par le traité de Versailles. Ils promettent de ne se livrer à aucune attaque ni invasion. Ils s’engagent également à prêter assistance immédiate à la partie qui aura subi une agression flagrante. Ce pacte a été considéré comme le symbole de la réconciliation entre la France et l’Allemagne. Hitler n’a pu le respecter, car il contestait les limites établies par le traité de Versailles, ainsi que le traité lui-même.
 
(12) Mémoires… I, 21.
 
(13) Un outil précieux pour la chronologie et l’explication des événements est la Chronique du 20e siècle, publiée dans la Collection du Reader’s Digest, en 1992.
 
(14) Charles de Gaulle : Vers l’Armée de métier (1934). Editions Plon, 1971, p. 30.
 
(15) op.cit. p. 33.
 
(16) - p. 35.
 
(17) - p. 36.
 
(18) - p. 37.
 
(19) - p. 47.
 
(20) - p. 75.
 
(21) Mémoires… I, 8.
 
(22) Vers l’Armée… op.cit. pp. 128 et 83.
 
(23) Mémoires… I, 20 .
 
(24) op.cit. I, 12. 
 
(25) - I, 12.
 
(26) - I, 13.
 
(27) - I, 14.
 
(28) - I, 14.
 
(29) - I, 15.
 
(30) - I, 16.
 
(31) - I, 16.
 
(32) - I, 32-33.
 
(33) Vers l’Armée… op.cit. p. 115-116.
 
(34) - p. 118.
 
(35) - p. 128. 
L A   P H R A S E    D U    M O I S  : 
 
« Sur la pente fatale où une erreur démesurée nous avait depuis longtemps engagés, l’armée, l’Etat, la France roulaient maintenant à un rythme vertigineux ». 
(Charles de Gaulle, Mémoires de Guerre, tome I, p. 29).
 
 Château d’Argent : transmettre le savoir.
 
Vient de paraître : 
Abbé Lucien JENN :
Journal de captivité. Les camps français de Schirmeck et du Struthof en 1945.
Traduction, notes et commentaires : Danielle Vincent.
Ste Marie-aux-Mines, éditions du Château d’Argent, 2022, 229 pages.
Vente en librairie : Wackenheim et Espace culturel zone Nord (Sélestat), Librairie Oberlin (Strasbourg), Trait d’Union (Barr), Librairie Prangère (Ste Marie-aux-Mines). 
 
 
La Voix dans le Désert. Mensuel gratuit du Château d’Argent.
Directrice de publication : Danielle Vincent.
Editions du Château d’Argent, 185 rue de Lattre de Tassigny, 68160 Ste Marie-taux-Mines.
Mise en page et impression : ZAPA Informatique.
ISSN : 2650- 67225.
Dépôt légal : 1er trimestre 2023.