Musée du Chateau d'Argent

Journal mai 2021

L A  V O I X   D A N S   L E   D E S E R T 
Mensuel du Château d’Argent - N° 26 - Mai 2021 
 
L  U  C  I  E  N     J  E  N  N        
Curé de Bischoffsheim  
LE  JOURNAL  D’UN PRETRE ALSACIEN  EN  CAMP  DE  CONCENTRATION. 
 
LE  CAMP DE CONCENTRATION SCHIRMECK – STRUTHOF
PENDANT LA PERIODE FRANCAISE 
1 9 4 5
E X P E R I E N C E S     E T     D O C U M E N T S
(12 janvier 1945  -  24 décembre 1945) 
 
Première traduction française intégrale, introduction et notes par   
Danielle  VINCENT.   
 
- II -
 
(Suite de La Voix dans le Désert, n° 25, avril 2O21) .
 
Une vingtaine de pages, chaque mois : voici la suite du Journal de l’abbé Lucien JENN. On y apprend pourquoi il a été arrêté et conduit par les forces de l’épuration, aux camps de concentrations de Schirmeck et du Struthof occupés, au lendemain de la libération de Strasbourg, par les Français.
La vie du camp, les traitements inhumains, la vie religieuse aussi, les relations entre les deux confessions chrétiennes, le problème de la langue française que, d’après l’auteur, quatre vingt pour cent d’Alsaciens ne comprenaient toujours pas en 1945, la profonde spiritualité de ce prêtre et son action pastorale auprès des détenus, les souvenirs et la vie quotidienne du village alsacien qu’il a dû quitter, les consciences prises entre deux feux, les trahisons, les délations, la bassesse humaine… Tout est pris sur le vif au jour le jour, et ces pages sont d’autant plus véridiques, qu’elles n’ont pas été arrangées, ni écrites pour plaire .
 
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Bischoffsheim, le 13 mai 1943.
 
Très honoré Monsieur le Maire, 
Il y a deux jours, j’ai eu la joie de rencontrer votre chère maman. Elle m’a demandé de lui produire le certificat de baptême de son père, natif de Bischoffsheim. Je joins le document demandé à cette lettre
et vous saurais gré de le remettre, à l’occasion, à votre mère. J’en profite pour vous demander un service qui pourra lever un malentendu aux graves conséquences. Il s’agit, en effet, de la famille de Timotheus Meyer. Cette famille a répandu, dans le village, le bruit que moi, le curé, aurais fait envoyer leur fils Auguste à Schirmeck. Pour accréditer leurs dires, ils ont produit une lettre de votre part, où l’on peut lire, noir sur blanc, que le dénonciateur était le curé. Cette rumeur m’a causé de grandes peines morales. La famille Meyer ne me salue plus, depuis; seul Auguste me faisait le salut Heil Hitler !  pour se moquer de moi.
Comme vous le savez, Auguste Meyer - qui vient de mourir de delirium tremens - était emprisonné à Schirmeck ( 1) à la suite de paroles imprudentes qu’il avait prononcées quelque part. Son arrestation n’était pas due au fait d’avoir tiré sur des avions allemands, ni aux insultes et menaces de mort que le jeune a proférées contre ma personne. Si j’avais voulu le dénoncer, je n’aurais pas attendu toute une année, mais j’aurais pu de suite le dénoncer aux autorités d’occupation allemandes.
Lorsque la famille Meyer a essayé de faire libérer son fils et a aussi entrepris des démarches auprès de vous, la police en a été informée par des tiers, pas par moi. Un beau jour j’ai été convoqué à la mairie par les forces de l’ordre, à la grande frayeur de ma sœur, et on m’a demandé de décrire l’événement avec précision. Bien qu’ayant fait remarquer que quarante à cinquante autres témoins se trouvaient là, et qu’il s’agissait d’une affaire publique et connue, on a insisté pour que je fasse ma déclaration et que je la signe à trois reprises. Comme prêtre, j’aurais été le premier à me battre pour la libération de ce jeune homme. Jamais je n’ai pensé à me venger ou à le dénoncer.
Si vous pouviez avoir la bonté d’écrire à la famille Meyer, que leur opinion repose, en ce qui me concerne, sur une fausse interprétation de la lettre que vous lui avez adressée, je vous en serais reconnaissant de tout cœur.
Avec mes salutations amicales,
Votre dévoué Jenn, curé de Bischoffsheim.
 
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Le maire de la ville de Saverne, Alsace.
Saverne, le 4 mai 1943. Tél. 2O6.
A Monsieur le Curé Jenn, à Bischoffsheim, arrondissement de Molsheim.
 
Monsieur le Curé, 
Je vous remercie pour votre lettre du 13 courant, et vous suis reconnaissant aussi d’y avoir joint le certificat de baptême de ma mère. Au sujet de Timothée Meyer, habitant là-bas, je peux vous informer que je n’ai, en aucun cas, écrit à la famille Meyer que vous, Monsieur le Curé, auriez été responsable de son envoi au camp de rééducation de Schirmeck. Au contraire, j’ai immédiatement expliqué à la maman des Meyer, que vous aviez été cité comme témoin, et ne pouviez pas du tout faire autrement que de dire la vérité sur ce malheureux événement. J’ai aussi exhorté cette dame à se conduire de manière plus chrétienne, quand elle m’a dit qu’elle ne mettrait plus les pieds à l’église de Bischoffsheim. J’ai tenu le même propos envers mes relations, à Bischoffsheim.
Je ne m’explique donc pas comment la famille Meyer a pu affirmer l’existence d’une lettre, dont il ressortirait avec évidence, que le curé aurait dénoncé leur fils. Si vous, Monsieur le curé, avez été moralement affecté par un bruit aussi infondé, cela tient uniquement à la méchanceté de ces personnes, qui n’ont pas voulu se laisser convaincre, même avec les arguments les plus évidents.
Je vais, par le même courrier, envoyer une copie de cette lettre à la famille Meyer. Je vous laisse libre, Monsieur le Curé, de faire usage, en tous les cas et comme vous le voudrez, de mon écrit.
Mais, en attendant, je vous renouvelle mes amicales salutations, avec Heil Hitler ! 
Votre dévoué R.Schlegel, K.Bürgermeister.
 
Je donnai à M. Hartz une copie des deux lettres en disant : « Si les FFI étaient intervenus en ma faveur, tout le malheur qui a frappé ma famille aurait pu être évité ». Mais, dès le début, quelqu’un m’avait averti en disant : « Monsieur le Curé, Joseph Hartz n’est pas sincère avec vous ». (M. Hartz est mort trois ou quatre ans après, d’un cancer de la gorge). « Si vous affirmez aujourd’hui, que vous n’avez rien osé entreprendre, ce n’est pas tout à fait vrai. Celui qui peut accuser quelqu’un, peut aussi prendre sa défense. » Maintenant les deux familles Hartz et Salomon savent que j’ai percé à jour leur méchante manœuvre. Mais bien qu’elles m’aient fait, à moi et aux miens, beaucoup de mal, j’ai fait savoir aux deux, que nous leur pardonnons et ne leur en tenons pas rigueur. J’ai aussi donné à Mesdemoiselles Wimmer et Schuster une copie des lettres échangées avec Schlegel. Et ainsi, la vérité va se frayer un chemin quand même.
De jeunes paroissiens, qui étaient incorporés, sont bien revenus, ainsi qu’André Beck et Hélène Braun. Si on laisse se déverser la colère aveugle de la populace, plusieurs de ceux qui reviennent auront à supporter des choses très graves : « A tanto nuo giungere la ferocia ! » (Le mie prigioni, memore di Silvio pellico, p. 28).
Quelqu’un s’est indigné dans la presse, que tant de paquets aient été remis aux prisonniers, de sorte que le camp finit par ressembler à un sanatorium. Le rédacteur voudrait-il venir avec nous participer à une cure de ce genre, pour quelques jours ou quelques semaines ?
 
3O.4.45 Il neige ; un temps qui n’invite pas particulièrement à la promenade. Je suis donc resté chez moi et j’ai écrit à mon vicaire une lettre, que je lui devais depuis longtemps. Alors que je recopiais la lettre - il était environ deux heures - j’ai été arrêté par deux gendarmes (2).
 
- Retour à Schirmeck, au Camp de sûreté -
 
Dans une missive du 1er mai à Monsieur le Préfet, que j’ai remise au commandant du camp, j’ai relaté cet événement particulier. Voici ce que j’ai écrit  (3) :
 
Schirmeck, Camp de Séjour surveillé, le 1er mai 1945.
Monsieur le Préfet, 
Par votre arrêté du 29 mars 1945, j’ai eu la grande joie d’apprendre que ma « mise en liberté provisoire » était ordonnée et que « l’intéressé résidera obligatoirement au monastère du Mont Ste Odile ». Par votre arrêté du 11 avril, vous jugez utile d’ordonner mon ré-internement administratif provisoire, parce que je ne me suis pas conformé aux termes dudit arrêté.
Monsieur le Préfet, veuillez me permettre de justifier le retard de mon arrivée au couvent Ste Odile. Les termes de l’arrêté du 29 mars ne parlent aucunement d’une obligation que l’intéressé se rende immédiatement au mont Ste Odile. Aussi aurait-il été impossible de le faire et cela pour les motifs suivants :
1 – Agé de 61 ans, presque toujours malade par les privations d’un internement de trois mois et épuisé par les travaux durs et peu habituels que j’ai dû exécuter tous les jours, je ne fus plus à même de rejoindre à pied le lieu du séjour forcé, d’autant plus que j’étais chargé de mes bagages.
2 - M. le Curé de Gertwiller a voulu passer la première nuit chez moi au presbytère de Bischoffsheim pour se reposer ; le lendemain, il s’est dirigé vers Obernai. Là, il a eu la chance de rencontrer l’auto du couvent, qui l’a conduit au monastère.
3 - Avant de monter au Mont Ste Odile, j’ai voulu prendre un bain pour me débarrasser de la vermine que je logeais. Quoique je me sois baigné au camp tous les huit jours, je découvris une vingtaine de puces et deux punaises.
4 - J’ai dû faire réparer par le tailleur Charles Hartz mes habits ecclésiastiques qui étaient dans un état lamentable.
5 - J’ai été obligé de me procurer de l’argent pour payer ma pension, n’ayant que 1,45 RM sur moi au moment où, dans le camp, on m’a donné congé. Aussi ai-je dû me faire remettre par la mairie des cartes d’alimentation.
6 - Enfin, pour trouver une voiture qui devait me conduire au mont Ste Odile, j’ai dû m’adresser aux personnes suivantes : à M. Nicolas Koestel (son auto était au garage, en réparation), à M. Joseph Lehmann, fils de Pierre, pour la voiture, à Mme la veuve Lehmann-Kappler (où se trouvait la voiture dudit Lehmann), à Victor Fischer pour le cheval, à M. Jos.Kirmann pour le cheval…
Ce n’est qu’après toutes ces démarches, que M.Victor Fischer, en la voiture de M. Joseph Lehmann, avec le cheval de M. Joseph Kirmann, a pu me conduire à mon lieu de destination.
7 - Le dimanche (8 avril), je n’ai pas voulu me soustraire à la cérémonie de la Communion solennelle de mes enfants (pour mon cœur de prêtre, la tentation était trop forte) ; j’ai chanté la grand’messe et distribué la Ste Communion. Après la cérémonie du matin, ayant abusé de mes forces, j’ai dû m’aliter et je devins si malade, que je ne supportai qu’un peu de soupe ; je n’ai pas pu prendre part à la cérémonie de l’après-midi. Tout affaibli que j’étais, j’ai dû différer mon départ.
8 - Entre la date de votre arrêté (11 avril) et celle de l’exécution dudit arrêté (3O avril), dix-neuf jours se sont écoulés et la police m’a avoué qu’elle avait toutes les peines pour trouver une auto pour m’expédier à Schirmeck.
Veuillez, Monsieur le Préfet, prendre en considération toutes ces raisons qui justifient le retard (involontaire) de mon arrivée au Mont Ste Odile.
Mgr Brunissen et Mgr Douvier pourront vous témoigner que, dès mon arrivée au Monastère, je me suis strictement conformé aux termes de votre arrêté.
Je vous prie de bien vouloir revenir sur votre décision qui est, pour un vieillard de 61 ans, un châtiment bien grave.
En vous remerciant d’avance de votre bonté, veuillez agréer, Monsieur le Préfet, l’expression de mes sentiments bien distingués.
Lucien Jenn, curé de Bischoffsheim. Interné de la Baraque 1, n° 5, Camp de Schirmeck.
Je ne reçus aucune réponse à cette lettre. J’aurais pu en rajouter pas mal : le fait de ne pas connaître le chemin à partir de Schirmeck, l’impossibilité d’atteindre mon but encore avant la nuit, beaucoup de chemins étant barrés à cause des mines – ainsi, un de mes paroissiens, Monsieur Rinn, qui voulait chercher du bois au mont Ste Odile, avait été tué par une mine, son véhicule détruit et ses chevaux tués ou blessés.
On m’enferma de nouveau, parce que j’avais mis quatre jours pour arriver là-haut. La police, elle, avait mis dix-neuf jours, avec les mêmes problèmes, pour me chercher !
 
1er mai – Jour de repos. Mon frère Joseph, que je me suis réjoui de revoir de nouveau ici, a été hébergé, par le truchement de l’adjudant Mura, dans la Herrenbaracke, le baraquement des hommes. Le soir, j’ai fait une méditation sur la Mère de Dieu, à l’occasion du mois de Marie.
 
2.5.45 Toute la matinée, j’ai scié du bois avec Joseph (la Société Jenn !). Hier soir, vers 1Oh3O, il y a eu une affreuse rafale de coups de feu tirés par le peloton de surveillance. C’était une provocation gratuite, sans aucun égard pour les femmes et les enfants terrorisés.
La nourriture dans le camp s’est un peu améliorée. Hier, nous avions de la choucroute avec un peu de lard, et aujourd’hui, une bonne soupe de poireaux. Le soir, à huit heures, je me suis proposé avec dix hommes, pour la corvée de charbon.
 
3.5.45 Fête de la Croix. J’ai remis à notre commandant la lettre au préfet, dont il est question plus haut. Le soir, j’ai fait une méditation sur le sacrement de l’autel.
 
4.5.45 J’ai fait des manoeuvres, aujourd’hui, avec le commando de balayage. C’est ainsi que j’ai eu l’occasion de rencontrer trois habitants de Molsheim, fortement amochés. Des Alsaciens avaient terriblement malmenés leurs concitoyens, leurs Landsleute, pour ainsi dire leurs frères et sœurs. Une femme avait eu les cheveux coupés. «Oui, capable de tout, est celui qui ne porte de l’homme que le nom, qui, sauvage, inhumain, barbare, arrogant et tyrannique, a grandi parmi les bêtes »   (Calderon : La vie, un rêve).
L’adjudant Mura a reçu, chez les femmes, le nom de « petite souris », et chez les hommes celui de « petit rouge-queue ». Aujourd’hui, deux paquets sont arrivés, l’un du mont Ste Odile; un autre contenant une couverture de laine, un sac de couchage et quelques vivres, venait de Bischoffsheim. Les œufs étaient écrasés.
La corvée de ce matin aurait été agréable, si la pluie n’avait interrompu notre travail. On ne peut pas bêcher le jardin au milieu des averses. L’après-midi, j’étais de nouveau de service dans le commando des balais ; à Mulhouse, ce genre de personnes a reçu le nom d’ « agents municipaux ».
Après la corvée : prière du bréviaire et étude d’anglais. Pour cette dernière, il me faudrait plus de temps disponible. Dommage ! Cet après-midi de nouveaux-venus sont arrivés. Le temps est froid et désagréable. Le gel a causé de gros dégâts dans les vergers et les vignes, aussi dans nos champs de myrtilles.
 
5.5.45 Il pleut des seaux. Nous étions, une demi-heure durant, debout dans cette averse, et avons dû prendre notre service complètement trempés. J’étais dans le commando des balais. Le chef de corvée a eu la raisonnable initiative de beaucoup abréger notre tâche. Dix hommes du camp ont été libérés aujourd’hui. Les corvées ont encore été redistribuées. La plupart des nouveaux, qui avaient été engagés, ont été renvoyés, parce que les patrons tenaient à garder leurs employés déjà bien formés. Hier soir, avant d’aller dormir, nous avons encore entendu que l’armistice a été signé. Trois femmes ont été libérées. Quatorze femmes et quatre hommes ont été amenés ici. Toujours la pluie.
 
Dimanche, le 6.5.45 J’ai eu la joie, aujourd’hui, de pouvoir lire la sainte Messe. Vingt huit hommes et quarante femmes ont communié. En pensée, j’étais à la maison, lors de la Fête de la Croix, et je me remémorai la prédication du Père Lothar et la procession .
Le dernier paquet que nous avions reçu (pain et beurre), portait le numéro 5172. Un prisonnier (qui doit être probablement l’auteur de l’affiche : Hinaus mit dem welschen Plünder) (4), a esquissé quelques vues de la vie du camp. Je donnerais volontiers mille Francs si je pouvais en avoir au moins une pour mon journal. Elles sont extraordinaires.
Depuis quelques jours, j’ai de nouveau pu prier mon bréviaire.
 
7.5.45 L’armistice est vraiment signé : sonnerie des cloches, feu d’artifice, tirs de joie. Le soir, j’ai fait un exposé sur : « Christ, pax nostra  ». Je partis de deux images du peintre René Kuder  (5) : « Dona nobis pacem » et « Réunis dans la mort ».
J’évoquai la phrase du Saint Père : « Opus iustitiae pax » et parlai du Cantique des Cantiques ; à la fin, j’ai cité dans la prière quelques invocations de la litanie de la Toussaint : « Donne aux rois et aux princes chrétiens la paix et une vraie piété ; nous te le demandons, écoute-nous… ».
Après la méditation, un Protestant (Reinhard) me dit : « M. le Curé, je veux vous faire une surprise ; je suis heureux qu’on vous aie de nouveau ramené ici, car nous n’aurions plus pu vous écouter ». Cette nuit, il était impossible de trouver le sommeil. Tirs, feux de Bengale, sonneries de cloches, carillons, clairons (des filles !), tambours, chants et cris. Nous n’avons compris qu’une chose : Vive la France, m. la Prusse ! Les Boches hors de la province ! (D’Schwowa mian zuem Landla nüss ). Vingt nouveaux sont arrivés hier. Un fabricant de Molsheim a eu le nez fracassé par ses concitoyens et a dû être transporté à l’hôpital de Strasbourg. On doute qu’il puisse être sauvé.
 
8.5.45 Le préfet Gaston Haellig ( 6) est limogé. S’il avait été évincé plus tôt, je serais peut-être encore au mont Ste Odile. Les nouveaux cours en Allemagne : Reichsmark = 5 Francs. 2O RM = 1OO F.
Le peintre Haffen a été « entendu » par le deuxième Bureau - trois hommes - et tellement molesté par eux, qu’il a dû être transporté à l’infirmerie. Il m’a lui-même raconté son épreuve, lorsque je l’ai visité là-bas. On l’a mis tout nu et on lui a marché dessus, puis on l’a frappé avec une grosse règle, particulièrement sur les parties génitales ; on lui a donné des coups dans le cœur, dans le visage, de sorte que le sang a giclé ; on lui a cassé plusieurs dents et son visage était complètement tuméfié. Sa première femme l’a accusé : il voulait être Gauleiter en Dordogne. Des méthodes de Gestapo, ici comme là. Malheur, quand elles ont libre cours !
L’humanité sans la Divinité devient bestiale.
Cet après-midi, deux dames m’ont demandé pourquoi je suis ici. Je leur ai raconté l’histoire. A la fin, elles m’ont demandé de leur donner l’adresse, en Allemagne, d’un prêtre allemand non nazi. Je les ai aiguillées sur le Dr.Braun, directeur du Cercle B.V.Borromée, à Bonn ; j’aurais bien pu leur citer chaque prêtre allemand.
Ce soir, j’ai parlé du ciel. Le temps était magnifique aujourd’hui. Pas de corvée.
 
12.5.45 Un prisonnier en uniforme de chef politique, a été poursuivi à travers le camp. Une meute de chiens aboyait devant la porte du camp. Tous les cinq pas, on ordonnait : « couché ! », puis : « debout ! », « marche ! marche ! ». Mon frère Joseph (7) s’irrita terriblement de cet acharnement : « Est-ce que ce sont là encore des hommes ? Ce sont des cochons ! ». Le gendarme suivait la victime en souriant, sans intervenir. Il entendit les cris de colère de mon frère et ordonna à Martin de le faire sortir. Mon frère lui demanda : « Etes-vous Français ? Pouvez-vous voir cela sans réagir ? Ce qui se passe ici est indigne de la France. Heureusement qu’il y a des salopards alsaciens pour se prêter à ce jeu-là ! Est-ce ainsi qu’on nous apporte la civilisation de la France nouvelle ? J’ai rendu à Paris des services à plus de trois cents Français, et si j’avais vu un Allemand traiter ainsi un Français, je n’aurais pas hésité à le descendre » ( 8). Et à Martin : « Pouvez-vous voir cela ? Est-ce que ça ne vous écoeure pas ? » Le gendarme : « Ce que vous dites-là ne me regarde pas. J’ai juste entendu que vous protestez : allez trouver le commandant ». « Je n’ai pas à trouver le commandant ! Si je suis en faute, c’est lui qui doit m’appeler et m’interroger. Je n’admettrai jamais qu’on se permette une chose pareille en ma présence. » ( 9).
A la section des femmes, l’une d’elles s’est évanouie en voyant cette scène de torture.
Albert Greiner, de Schoenbourg dans le Graufthal, a reçu trente deux coups de cravache ; le sang lui coulait le long de la cuisse et il doit avoir des massages aujourd’hui encore, car il a eu l’os de la cuisse brisé en mille morceaux par un coup de pied.
Pendant l’appel, mon frère a été mis au mur de la honte. Il a dû aller ensuite chez le commandant. Il a été puni de quatre jours de Bunker. « Vous allez voir ce qui est français, salaud ! », lui lança Mura (1O).
Vers quatre heures, alors que nous cherchions les paquets, deux personnes ont été amenées, qui avaient sur la tête une croix gammée découpée dans leur chevelure et une autre peinte sur le dos. Beaucoup d’Américains, l’arme dressée, accompagnaient les « malfaiteurs ». Devant la seconde entrée, Briemel et H. Beller attendent avec un camion : ce sont des habitants de Bischoffsheim. Je les appelle, et ils me font « salut ! ». En entrant, je rencontre deux prêtres, anciens élèves, Pabst et Rosio. Pabst fait un salut amical, Rosio dit simplement : « Jenn », d’un visage impassible. Comme les jugements de mes deux anciens élèves peuvent donc être différents !
Ensuite, j’ai aidé à décharger les poireaux et la salade apportés par Briemel et Heller, ce qui m’a donné l’occasion de m’entretenir plus longuement avec eux et de m’informer de la situation, à Bischoffsheim. Tout est arrivé comme je l’avais prédit. Mes avertissements et mes prières en chaire avaient été emportés par le vent. Le chef des traîtres semble avoir été Eugène Clar. Il est mort trois ou quatre ans après d’un cancer de la gorge. La femme d’Erwin Braun a dû porter un drapeau français à travers le village et on lui a coupé les cheveux à la mairie. On a cherché aussi le chef des paysans Kuss, et comme on ne le trouvait pas, on s’est vengé sur sa femme, une Française de l’intérieur, et on l’a battue. Son fils est actuellement le maire de Bischoffsheim. Il y a eu des manifestations aussi devant la maison du marchand de bière, Roth. Lui aussi semble avoir disparu, ou bien il a été conduit dans un camp.
« Quelle est la source du mal ? C’est l’envie qui est la racine du mal, c’est aussi la haine, et c’est la folie .» (Boudha).
J’ai apporté à mon frère, au Bunker, des pommes et un livre sur Don Bosco.
Tomera Franz de Wasselonne, qui habite à Romansviller, et Lorenz de Wangen, âgé de dix-sept ans, que sont-ils devenus ? Tomera était surveillant d’usine dans la S.A., et gardait les prisonniers russes, lesquels n’allaient pas si mal que cela. Il s’était engagé cinq ans pour le Japon et a voulu, un beau matin, aller à Strasbourg, tôt avant le lever du jour ; là il a été arrêté par dix Africains et des F.F.I. Il a d’abord été tabassé, puis on l’attacha au monument de Romansviller, et chacun pouvait, toute la journée, le frapper à volonté, ce dont on ne s’est pas privé. Quand ils ont tous été fatigués de le battre, on le conduisit à Wasselonne. Sur la place, on excita la populace contre lui, de sorte que le sang coula bientôt de sa bouche et de ses oreilles. On lui versa toute une livre de miel sur la tête, sans doute pour attirer sur lui les guêpes et les abeilles. Lorsqu’il perdit connaissance, on le jeta en prison - au Schlosshof - et de là, on l’amena ici.
Lorenz a été frappé et jeté dans la tour du château. La nuit suivante, il a été battu avec des nœuds de caoutchouc ; les surveillants ayant volontairement laissé les portes ouvertes, il s’enfuit à la maison. Mais là, les parents ont été gravement maltraités et la maison entièrement saccagée. Quand le jeune homme a cherché de l’aide auprès de la police, on lui a répondu : « Nous ne pouvons rien faire ».
La femme Bisch de Boersch a été arrachée de sa maison. Le vin, dans la cave, a été bu en partie, et l’autre partie répandue au sol. Pendant la retraite aux flambeaux, on obligea cette femme à marcher devant le cortège. Monsieur Bisch était un bon catholique et un vrai Alsacien. Il n’a jamais cédé à la sollicitation de quitter l’Eglise.
C’est comme si, depuis cinq jours, libre cours était donné au tribunal du peuple, ou plutôt au lynchage en règle. Après, quand la haine se sera bien dépensée, l’ordre sera de nouveau rétabli.
 
Appel à la délation.
 
Aujourd’hui, à Schirmeck, on a proclamé haut et fort que, si quelqu’un veut dénoncer des sympathisants allemands, il doit s’adresser à la gendarmerie. N’était-ce pas la même chose pour Jeanne d’Arc, la Française, livrée aux Anglais ? L’Evangile de ce dimanche matin est bien adapté à tous ces événements – le mot est trop faible -- plutôt ces crimes horribles. «L’heure vient, où quiconque vous fera mourir croira faire à Dieu un sacrifice agréable L’heure vient, où quiconque vous fera mourir, croira faire à Dieu un sacrifice agréable. Et ils vous traiteront ainsi, parce qu’ils n’ont connu ni mon Père ni moi » (Jean 16) (11).
 
12.5.45 Pancrace et Boniface sont les « saints de glace », alors que nous avons une chaleur digne du mois d’août, telle qu’on n’en a encore jamais vécue en mai.
Deux nouveaux « criminels » ont été amenés aujourd’hui, dont Monsieur Bisch de Boersch et le chef de district (12) de Labroque. Ce dernier a été « exposé » à Schirmeck ; l’ancien pilori est redevenu de mode. Très souvent, le poteau de la honte devient celui du martyr, ce qui n’était pas le cas dans le temps.
 
13.5.45 Monsieur Bisch ne veut pas entendre parler de Monsieur le curé Beyler. Il aurait, dans ses prédications, tenu des propos tels que la population croit devoir se plaindre, pensant avoir à faire à des « Nazis ».
Aujourd’hui j’ai chanté la grand’messe en remplacement de Monsieur l’aumônier Hahn. Comme je devais tenir la prédication en français, j’ai laissé tomber celle-ci. Le préjudice n’a pas été important : 8O à 9O% ne l’auraient quand même pas comprise (13 ).
Les peleurs de pommes de terre ont dû remettre la gomme ; il y en a un, en effet,qui a fait cette réflexion : « S’il n’y a plus rien à bouffer, qu’ils nous renvoient chez nous ». Cependant, l’ordinaire n’était pas mauvais aujourd’hui : pommes de terre avec des épinards en salade et un soupçon de goulasch. Le soir, on a eu du thé avec du fromage blanc. Aujourd’hui, j’ai de nouveau reçu une miche de pain, que j’ai eu le plaisir de pouvoir partager avec mon frère au Bunker.
J’ai évoqué aujourd’hui le thème de l’indifférence religieuse en partant de la phrase de Goethe : « Chrétiens, païens ou Hottentots : nous croyons tous en un seul Dieu ».
 
14.5.45 Dans un paquet qui contenait des œufs frais, six étaient cassés. J’ai pu, de justesse, en récupérer le contenu. Je voulais faire cuire les œufs dans la chambre de désinfection. J’ai demandé à sœur Maria de me cuire les œufs avec du lard qu’un détenu m’avait donné. Elle est détenue, d’origine allemande, et avait longtemps habité en Alsace – actuellement elle habite de nouveau à Strasbourg. J’ai attendu deux heures dans le local en bavardant avec elle et avec le chirurgien, lui-aussi interné, le docteur Hamann de Sélestat. Nous avons pris une tasse de thé. Les pasteurs protestants font, matin et soir, une prière avec les malades. L’aumônier (14) ne l’a pas fait jusqu’à présent. Devrais-je en prendre l’initiative ?
Comme l’annonce le journal L’Alsace libérée du 12 mai, le général de Lattre, après la signature de l’Armistice, a déclaré entre autres : «La victoire la retrouve (la France) fidèle à ses traditions séculaires, pour la sauvegarde de la liberté et de la dignité humaines »  (Berlin, le 8 mai 1945).
Nous, à Schirmeck, nous recevons bien le message, seule nous manque la foi ; car cette « sauvegarde de la liberté et de la dignité humaine », nous en avons très peu fait l’expérience. Et quand le préfet Gaston Haelling, dans son discours d’adieu précise que le nombre de prisonniers s’élève, en gros, à 3.OOO, ce n’est pas exact non plus. Rien qu’au Struthof, il y en a presque autant ! 483 personnes ont été libérées faute de charges avérées contre elles. Mais ce que ces innocents ont eu à subir, le préfet n’en dit pas un mot. Mais nous espérons que le préfet a dit vrai lorsqu’il ajoute ici : « En général, on peut affirmer que les actuelles méthodes de travail (Qu’en était-il des anciennes ?) permettront d’accélérer le rythme. Chaque jour, près de trente cinq cas sont réglés, un nombre qui s’élèvera bientôt à cinquante ».
1.154 personnes ont été internées ; 265 cas remis au tribunal et 5 en cour martiale. Une procédure ordinaire est engagée contre 8 personnes ; 96 sont internées de force, 483 libérées, 11 ( ? sic) sont établies ailleurs. Au sein de l’administration, l’épuration a liquidé 5OO cas jusqu’à présent (comment ?). A la fin, voici ce qu’on affirme : « Nos actions montrent assez que les autorités ne sont pas indifférentes au problème de l’épuration, comme on l’a prétendu jusqu’ici (avec raison ! avec raison M. le Préfet ). Le public doit savoir que quelque chose se passe (rien !) et doit aussi être mis au courant de ce qui s’est passé . L’affaire ne doit en aucun cas être traitée à la légère, mais néanmoins sans passion, si nous voulons nous éviter le reproche d’avoir agi injustement (et comment !) »…
Les 1.3OO internés de Schirmeck, vont être très surpris par de telles déclarations. Comment est-il possible de faire avaler au peuple alsacien d’aussi grossiers mensonges ? Si 5O cas, tout au plus, avaient été réglés par jour, les 3.OOO prisonniers auraient tous dû être libérés en deux mois. En 23 jours, les 1.154 détenus auraient déjà tous dû savoir à quoi s’en tenir.
 
Le 16.5.45 Madame Braun, de Bischoffsheim, avec deux enfants, a été amenée ici. Le soir, j’ai fait une méditation sur le St Esprit et son action dans nos âmes.
 
Le 17.5.45 J’ai travaillé sur la ligne de chemin de fer Hersbach – Wisches comme ouvrier d’équipe. La chaleur était terrible. Un Marocain vient, chantant le long de la voie ferrée, et reste là, planté devant nous : «  Nix Franzos  » dit-il, « Raus Franzos ! » ( 15).
Un de nos copains nous raconte ce qu’il a dû endurer au Struthof. Ils ont été sauvagement battus, jour et nuit, au point que le sang giclait. Le matin, on a apporté un seau d’eau pour laver les traces de sang dans la cellule. En trois jours, il y a eu six morts.
Quand nous sommes rentrés (16) nous avons vu que, tout autour du camp, la clôture de barbelés avait été garnie d’enseignes à tête de mort, pour avertir du danger de toucher les fils ou d’essayer de s’évader. Ces crânes ne remonteront certainement pas le moral de ceux qui sont portés aux idées noires. Tout le temps, je dois redresser et ranimer des copains découragés jusqu’au désespoir. Le soir, j’ai fait une méditation sur l’action du St Esprit dans l’Eglise. On a distribué un paquet de lessive en poudre pour chacun et des cartes postales de la Croix- Rouge. L’avocat Eber a été amené en détention. Il paraît que le maire Rieffel a aussi été arrêté.
 
Pentecôte : exposé sur la Grâce.
Un grand souci : nous autres, frères Jenn, sommes séparés de force. Mon frère va être transféré au Struthof, à cause de son intervention, sans succès, en faveur de son copain maltraité. Mon frère avait, par la suite, rencontré le gardien Bader à Paris, et ce dernier lui a raconté qu’on avait particulièrement recommandé mon frère au commandant du Struthof avec la mention : « Pour être exterminé ». Nuit et brouillard.
Monsieur Schmitt de Molsheim m’a rapporté ce matin ce que H.Filzer lui a appris : le curé Rauch a été Ortsgruppenleiter et a dénoncé quinze familles (17). Silvio Pellico appelle la délation : « Malattia epidemica nel mundo. L’uomo si reputa migliore abborendo gli altri » (p.48). «  La délation est une épidémie. L’homme a une meilleure opinion de lui-même, quand il peut dénoncer les autres ».
La séparation d’avec mon frère a été plus dure pour moi que l’adieu au mont Ste Odile, quand il fallut quitter la liberté pour retourner en détention.
Au cours du service divin, j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec Madame Erwin Braun de Bischoffsheim. Elle m’a raconté que les filles d’Eugène Clar se sont comportées comme les pires furies lors de la séance du rasage des cheveux. Mild und wild, ce sont presque des rimes, comme hart und zart, comme Himmel und Schimmel, comme mütterlich und liederlich ( 18). Comme l’un peut rapidement basculer dans l’autre !
 
Discipline et ordre dans le camp.
21.5.45 Le lundi de Pentecôte, Madame Braun et ses deux enfants, le peintre Haffner et mon frère Joseph, M. Nicolas Delles, un bon ami, doivent aussi être mis au Struthof.
J’ai reçu de P.Krumb un pain long et du pain au lait, que je donnerai à M.Delles pour mon frère. Le soir, j’ai fait un exposé sur la demeure de Dieu le Père dans l’âme des enfants de Dieu.
 
22.5.45 Les touffes de cheveux tombent aujourd’hui dans tout le camp. Tous les crânes doivent être rasés au plus près. Ce qui n’est pas vraiment désagréable pour l’été. Que cette décision ait été prise uniquement pour des motifs d’hygiène, ce n’est pas sûr. Mura a une vraie joie mauvaise de pouvoir nous marquer du sceau des forçats. Quatre coiffeurs travaillent devant la baraque n° 1.
« Ne poussez pas, chacun aura son tour ! » Le type de la Milice, dans notre baraquement, hésite à se soumettre à cette humiliation. Je lui ai conseillé de l’accepter : la raison du plus fort est toujours la meilleure ( 19). J’ai connu un savant professeur qui s’était toujours de nouveau fait raser les cheveux, sans perdre de sa dignité : Luzian Pfleger (2O). C’est pareil pour nous !
Un autre milicien a été amené, en compagnie de sa sœur. Le commandant l’a invectivé en hurlant et a fait enfermer les deux au Bunker jusqu’à huit heures. De suite après est arrivé un camion de Russes, ou de Polonais ou d’Italiens. Les détenus ne savent pas exactement de quelle nationalité. Ils ont été hébergés à la baraque 1O. Les nouveaux ont apporté avec eux leurs sacs de paille (21).
Dimanche prochain, je célèbrerai de nouveau le service divin, car l’aumônier veut fêter le mariage de sa sœur, à Grendelbruch. Si j’ai la possibilité de prêcher, je le ferai en allemand. (22). Ce soir, j’ai fait une heure de méditation sur la présence du Christ dans notre âme.
 
24.5.45 J’ai porté aujourd’hui les paquets du dépôt au triage. Ce qui est le plus distribué est le pain. Le pain du camp n’est pas assez cuit. L’ancien pain de garnison était meilleur et plus digeste. Quand je suis revenu dans le baraquement, j’ai eu une petite surprise : Monsieur Clévenau me transmettait le bonjour du Père Girardot Ce dernier était mon ancien instituteur de Bischoffsheim. Il l’avait rencontré à Strasbourg. Je suis sûr que monsieur Girardot a parlé favorablement de moi. A moins que les louanges qu’il avait faites jadis de mon travail pastoral aient été feintes, ce que je ne peux pas croire.
J’ai poursuivi assidûment mon étude de l’anglais. L’éventualité d’un voyage en Amérique me hante toujours de nouveau. Pourrai-je un jour réaliser ce vœu ? Je voudrais tellement m’envoler au pays de la liberté quand je sortirai d’ici, et revoir là-bas mon frère et sa famille . Je dis, moi-aussi, avec St Paul : « Que Dieu lui-même, notre Père et notre Seigneur Jésus, aplanissent notre route pour que nous allions à vous ! » (1 Thess. 3/11) … « Je ne veux pas cette fois vous voir en passant, mais j’espère demeurer quelque temps auprès de notre auteur  vous, si le Seigneur le permet. » (1 Cor.16/7). Oui, si le Seigneur le permet ! ( 23)  
25.5.45 Les nouveaux, dans la baraque 1O, sont des Italiens. Ils seront affectés au déminage. Depuis quatre jours, tous les détenus de Schirmeck et Labroque sont rassemblés pour une corvée spéciale de « balai ». Ils sont exposés dans la rue aux moqueries et aux insultes populaires. Quel raffinement dans cette stratégie …
Les têtes de mort sur les enseignes, le long de la clôture, ont été transformées en caricatures du gardien Mura. Sans arrêt, il fouine dans le camp pour tourmenter les prisonniers comme il peut. « Celui-là ne doit pas dormir de la nuit en pensant sans arrêt à la manière dont il pourra chicaner toute la journée ceux qu’il a entre les mains », disent les détenus.
Ce matin, il a fait sortir tout le monde du baraquement ; celui qu’il trouve sans travail, il le mentionne dans son carnet. Le jour suivant révèlera ce qui va se passer avec eux.
Cet après-midi, le Max Homes, qui faisait partie du commando du balai, dont j’ai parlé plus haut, a été placé sur une voiture. On lui a mis un hochet dans la main (un petit bâton avec une ficelle) et on l’a conduit à travers les rues de La Broque, pour donner à la populace l’occasion de se moquer de lui. De quel droit ? Le FFI qui avait organisé cette comédie, était, dans le temps, un meneur politique ! Une femme, croisant le cortège, a crié : « Salauds ! Faites-les tuer, ils ne méritent pas plus. »
Et voici ce que dit Goethe : « Les femmes sont devant partout, pour persifler et pour manger » (Faust II). On peut citer encore une autre phrase : Ruth Schaumann dans « Vallin la noire et Ossana la blanche » (p.196) : « Si les femmes le veulent, elles trouvent les moyens pour tout ; si seulement elles ne voulaient que le bien ! » Je n’ai pas besoin de citer le dicton parlant des femmes qui parfois deviennent des hyènes : il est connu partout. ( 24).
Quand certains saluent les prisonniers et sont quelque peu aimables à leur égard, on essaie de suite de les en empêcher. Des gens de Haute-Alsace et des Lorrains ont dû se présenter aujourd’hui. Ils seront affectés dans des camps spéciaux (Mulhouse, Metz) .
Vers trois heures, le commandant a fait irruption dans les baraquements en hurlant et cognant. Des prisonniers ont dit qu’il pouvait bien se le permettre, puisqu’il s’est fait offrir trois paires de chaussures, avec facture acquittée. Pour un cadeau de dix litres de Schnaps et un quintal de farine, Filzer a permis à un prisonnier de rejoindre son foyer pour une journée. Le commandant a fait, ce matin, comme Mura, sortir tout le monde des baraquements. « Repos au lit » ou « Repos dans la baraque », cela n’existe pas pour lui. Car il a aussi des rhumatismes, et doit quand même travailler.
 
26.5.45 Au sujet de ce mauvais traitement, j’ai conseillé au Corps de Balai de porter plainte auprès du commandant, et par l’intermédiaire du nouveau délégué du camp, le camarade Amos – deux galons -. Le feront-ils ? Ce serait vraiment un cas typique, qui permettrait de constater si la nouvelle organisation avec le délégué fonctionne vraiment.
Quatre-vingt huit employeurs sont venus aujourd’hui pour chercher des prisonniers devant travailler au-dehors du camp. Cette rencontre des détenus et de la population a certainement contribué à une meilleure compréhension entre le camp et la localité. Beaucoup de femmes aussi sont cherchées et leur aide est très appréciée. On demande 8O F par jour pour un détenu . Une liste de « travaux légers » a été dressée. Et un transport est organisé. M. Mura m’a demandé si j’étais aussi inscrit pour « travaux légers ». « Pas par le médecin, mais par M. Cléveneau et l’intermédiaire de Clément Metzger ». Il me raya de la liste.
Le pasteur Brumbt a eu huit jours de Bunker, parce qu’il a essayé de passer une lettre hors du camp et a été pris.
J’ai vu, tout à l’heure, que le peintre Spaety a été appelé chez le commandant. Il portait avec lui le cahier des caricatures réussies. C’est dommage, car elles sont maintenant perdues pour mon journal ; j’aurais tellement aimé en avoir l’une ou l’autre !
Un paquet de cerises est arrivé aujourd’hui pour moi : des cerises de Bischoffsheim ! On ne peut en trouver de meilleures nulle part. Je n’ai malheureusement pas pu en faire porter à mon frère Joseph. Avant d’arriver au Struthof, elles auraient perdu leur goût et leur bel aspect.
J’ai de suite partagé avec lui un deuxième paquet contenant du pain, du lard et des œufs, et le lui ai fait apporter. Au moment où je cherchais ces paquets, un camion rempli de soldats de la Milice est arrivé. Le policier qui les accompagnait a dit, en se moquant : « Des SS français » ! Il a répondu amicalement à mon salut. En cette occasion, le commandant a de nouveau montré qu’il n’a pas de cœur. « Demi-tour à droite ! » a-t-il ordonné. Le plus jeune du groupe n’a pas de suite compris cet ordre militaire et a fait un faux mouvement. Il a reçu de suite un coup de pied accompagné d’une invective : « Etes-vous Français ?» Nous allions assister à bien pire encore. Vers huit heures moins le quart, deux femmes auxquelles on avait coupé les cheveux ont été conduites hors du camp. Leur pénible démarche laissait deviner que ces femmes déjà âgées, avaient subi des violences. Leur visage était peinturluré de noir : du cirage. Il fallait presque avoir honte d’être Alsacien. On ne trouve plus grand’chose du vrai Christianisme ! Des mains qui frappent et des mains qui se joignent ne vont pas ensemble. Des cœurs qui haïssent et des cœurs qui aiment ne vont pas ensemble non plus. Des pieds qui donnent des coups et des pieds qui vont à l’église, des genoux qui plient pendant la prière, ne vont pas ensemble. Des langues qui disent du mal et des langues qui récitent des prières, ne peuvent certainement pas plaire à Dieu. Un Christianisme de ce genre est du papier doré, de la pacotille : s’il était authentique, si c’était de l’or pur, de telles horreurs n’auraient pas pu se produire. On reconnaît le soldat à ses décorations (25).
L’insigne du chrétien, c’est la charité. « A cela on reconnaîtra que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres ». Un païen qui a de la charité dans son cœur a certainement plus de valeur devant Dieu, que tel chrétien qui nourrit la haine dans son cœur, et la laisse exploser en toute occasion.
 
27.5.45 Les femmes qui étaient arrivées hier en si mauvais état sont, paraît-il, Madame Loegel et sa sœur, Madame Roerig de Dorlisheim. Monsieur Hieter de Molsheim a reçu aujourd’hui son acte d’accusation. On lui reproche d’avoir poussé son fils dans l’armée allemande et … Mais il n’a pas du tout de fils !
J’ai entièrement assuré le service de ce jour, dimanche de la Trinité, en langue allemande, exception faite de la lecture de l’Epître et de l’Evangile. La surveillante - cette vulgaire mygale - a quitté la salle en signe de protestation. Après le service, j’ai apporté la communion à cinq malades, à l’hospice : quatre femmes et un homme. J’ai prononcé les prières d’introït et d’action de grâces de nouveau en allemand, car les malades ne savaient pas le français. Quand je suis revenu dans la grande salle, Monsieur Mura m’attendait. Il me reprocha d’abord, que la célébration (qui comportait aussi l’allocution) , avait duré trop longtemps, et qu’un temps précieux avait été dilapidé. Ceci ne me semble pas tout à fait juste car, à 12h1O, nous avions terminé le repas. Ensuite, il a rouspété parce que la célébration avait été tenue en langue allemande. J’ai fait remarquer que Monsieur l’aumônier avait aussi prêché en allemand, dimanche dernier, et qu’il existe une disposition selon laquelle trois prédications par mois peuvent être tenues en allemand, et une en français. « Trois en allemand ? Est-ce que nous sommes donc des Boches ? »
J’ai répondu en lui demandant l’autorisation d’aller me procurer chez le Père Krumb - qui remplace le curé dans une paroisse voisine - une Bible en français, un Missel en français et d’autres lectures en français.
- « Pour que vous puissiez vous amuser là-bas ! »
J’ai répondu : « Vous ne supposez que le mal ». Et Mura a rétorqué : « Je ne vois chez vous, que ce que vous êtes vraiment ».
Je n’ai donné aucune réponse à cette insulte. L’essentiel, pour moi, était que la messe ait pris une si belle tournure et que les copains en aient été satisfaits.
A midi, on a eu de la choucroute, des pommes de terre et de la viande. A la table d’à-côté, quelqu’un a dit : « A Dorlisheim, plusieurs personnes ont été rasées et parmi elles le curé catholique ( 26), le professeur Kirschner ». J’ai répondu : « Ce n’est pas impossible, mais je voudrais d’abord vérifier si c’est vrai ; on a déjà raconté plein de choses à mon sujet, qui n’étaient que des mensonges. Si  par exemple, tout ce qu’on raconte à l’extérieur de nous autres Schirmekois était juste, nous serions vraiment la lie de l’humanité et devrions légitimement expier ici nos fautes ».
Dans son livre Demokritos, K.J.Weber écrit : « Les gens qui ont une vive imagination, se persuadent eux-mêmes de quelque chose et transmettent ce sentiment à d’autres » (p.76). « Les mensonges sont très souvent suscités par le désir de plaire et de se rendre important » (p.83). « Beaucoup disent, comme Voltaire : si ce n’est pas vrai, cela aurait pu être vrai » (p. 89). « Les mensonges diplomatiques sont les plus courants » (p.98).
 
28.5.45 Mura me fait convoquer, pendant l’appel, et me dit que je dois être à 9h chez le commandant.
Alors que j’attends devant la porte du commandant, arrive un convoi de femmes et d’hommes venus de Saverne, et parmi eux, ma sœur Maria (27) . Je ne l’aurais presque pas reconnue, si pâle et amaigrie, à cause des privations et des soucis qu’elle se faisait surtout à mon sujet. Je courus vers elle pour l’embrasser.
Chez le commandant, j’ai oublié d’annoncer : « Jenn, baraquement 1 ». le commandant m’en fait l’énoncé, et je le répète docilement (28). Puis il commence à crier : J’ai tenu le service en allemand contre ses directives ( ? sic ). Je répondis que personne ne me l’avait défendu ; et je précisai que j’avais lu l’Epître et l’Evangile en français.
- « Vous avez bien fait », dit-il, « mais si vous n’êtes pas capable de faire un sermon en français, je ferme la boutique et il n’y aura plus d’offices ».
Je rétorquai que M. l’Aumônier tient souvent l’office en allemand. « Il peut le faire, lui » dit-il, « mais vous comme prisonnier, n’avez pas le droit de prêcher en allemand. N’avez-vous pas lu les écriteaux dans les baraques : ‘Parlez peu, mais français’ ? Vous irez pour huit jours au Bunker ».
Je demandai à recevoir le rapport. Alors il hurla : « Dehors ! Dehors ! »
St Ambroise écrit au sujet du Psaume 118 : «  Gratis igitur persecutionem patitur qui impugnatur sine crimine, impugnatur ut nocius cum sit in tale confessione laudabilis » - « L’innocent qui supporte la persécution, alors qu’il n’est pas coupable, est attaqué comme un malfaiteur, au lieu d’ être loué pour son comportement ».
Je pris quelques vivres à emporter au Bunker, et demandai à Diebold, le chef du Bunker, de faire un paquet avec le reste, pour ma sœur. J’étais tranquille. Comme dit la grande Thérèse : « Nada te turbe, nada te espante ! » - « Que rien ne te bouleverse, que rien ne t’effraie ! » .
Comme personne sensée, je n’aime pas faire un travail insensé, et cela aurait été le cas pour un sermon devant 7O à 8O% de détenus, qui n’auraient pas compris un mot. « Verbum Dei non est alligatum » (Tim 11/9) (29) . La Parole de Dieu aurait été, dans ce cas, vraiment captive et fermée à tous ! 
J’ajoute aussi un extrait de la Lettre pastorale des évêques de France, Carême 1964 (3O) : « Personne ne peut s’exprimer dans une langue qu’il ne connaît pas. L’Eglise est sage et maternelle quand elle annonce partout, aux hommes qui lui sont confiés, la parole de Dieu dans la langue qui leur est familière ; elle veut que les croyants répondent à Dieu dans leur langue maternelle, chantent sa louange avec leurs mots ordinaires, et Lui expriment leur amour dans un langage qu’ils comprennent. La réforme que nous voulons, demande à chacun une participation active, responsable, bien comprise et féconde aux saints Mystères… » ( 31).
Je suis si heureux que ma sœur soit maintenant près de moi. Dimanche, dans huit jours, je pourrai lui parler et cela va la consoler ; jusque-là, je vais prier pour elle.
Le temps passé au cachot sera sûrement pour moi un bon moment. J’ai quelques lectures, mon dictionnaire anglais. Toutes les fastidieuses corvées sont levées. J’ai maintenant tout loisir de lire, écrire et prier. Mais les côtes me font encore mal d’être tombé du lit. J’ai demandé l’autorisation d’aller voir le médecin. Ce souhait sera-t-il exaucé ? Je m’étends sur mon lit de camp et je vais dormir.
Le camarade Hessenauer, coiffeur au baraquement 1, m’envoie un pain long avec le petit message suivant : Bon appétit, bon courage ! J’ai fait porter de suite la moitié du pain à Martha. Dans un des petits cahiers que j’emporte, se trouvent ces mots, à la fin : « Est toujours bien ce que Dieu veut (toute la famille emprisonnée) , comme Il le veut (à Schirmeck, au Struthof ou à la prison de Saverne) , quand il le veut (depuis janvier et peut-être encore plus longtemps) , parce que Dieu le veut (Il sait pourquoi). Une occasion de faire réparation, de Lui ressembler et de nous rapprocher davantage de Lui. C’est toujours bien ».
Monsieur S. a probablement écrit à M. le député Meck ( 32) que j’ai eu huit jours d’astreinte au Bunker, pour avoir tenu une prédication en allemand. M. le député va-t-il porter cette « horrible affaire » à qui de droit ? Au camp, j’ai bonne presse - Dieu soit loué pour cela - Je perçois de tous côtés des regards de gratitude et une silencieuse sympathie.
 
Les journées au Bunker.
 
29.5.45 Premier jour au Bunker.
Un homme de Haguenau - c’est ce qu’on racontait au Bunker - disait que l’évêque de Strasbourg a voulu protester contre le lynchage pratiqué par la population pour faire justice. Si j’étais l’évêque, je citerais simplement à mes ouailles ce que St Paul écrivit jadis aux Galates (5/14…) : « …Rendez-vous par la charité, serviteurs les uns des autres. Car toute la loi est accomplie dans une seule parole, dans celle-ci : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Mais si vous vous mordez et dévorez les uns les autres, prenez garde que vous ne soyez détruits les uns par les autres ».
La Parole de Dieu fournit, dans toutes les situations de la vie, lumière, force et consolation. St Paul justifie même ma prédication en allemand ; il écrit, à la communauté chrétienne de Corinthe (1,14,7 sic) : « Si, par la langue, vous ne donnez pas une parole distincte, comment saura-t-on ce que vous dites ? Car vous parlerez en l’air » (33) . « Si donc, je ne connais pas le sens de la langue, je serai un barbare pour celui qui parle, et celui qui parle sera un barbare pour moi » (34 ). « Mais, dans l’Eglise, j’aime mieux dire cinq paroles avec mon intelligence, afin d’instruire aussi les autres, que dix mille paroles en langue » (35 ).
Et dans la première Epître aux Corinthiens , ch.4/11ss., l’Apôtre semble mettre le doigt sur notre situation actuelle : «Jusqu’à cette heure, nous souffrons la faim, la soif, la nudité ; nous sommes maltraités, errants çà et là ; nous nous fatiguons à travailler de nos propres mains ; injurié, nous bénissons ; persécutés, nous supportons ; calomniés, nous parlons avec bonté ; nous sommes devenus comme les balayures du monde, le rebut de tous jusqu’à maintenant »  (36) .
L’Apôtre nous montre, en outre, comment nous devons nous comporter vis-à-vis de nos ennemis personnels. Il écrit à Timothée : «Alexandre le forgeron m’a fait beaucoup de mal. Le Seigneur lui rendra selon ses œuvres. Garde-toi aussi de lui, car il s’est fortement opposé à nos paroles. Dans ma première défense, personne ne m’a assisté, mais tous m’ont abandonné. Que cela ne leur soit pas imputé ! C’est le Seigneur qui m’a assisté et qui m’a fortifié. » (37).
 
3O.5.45 Deuxième jour au Bunker.
C’est la Fête de Ste Jeanne d’Arc. Dans l’Hymne national, il y a les mots, bien intentionnels de la part du poète : « Vive la France ! » « Gallia vivat ! ». Cet appel patriotique est ici une prière : « Semper ut tantae meritis patronae Gallia vivat !  Que toujours vive la France par les mérites d’une si puissante patronne ! » Si jamais la France a eu besoin de cette prière, c’est bien aujourd’hui. Elle a besoin de vie, une vie dans l’ordre, dans la vérité, la justice et la charité. Que la combative et cependant si bonne patronne de la France obtienne bientôt pour notre pays (38 ), ces saints et utiles bienfaits, sinon il ira vers sa déchéance et tombera corps et biens dans la gueule du monstre russe.
Pour orner religieusement la cellule du Bunker, j’ai dessiné aujourd’hui avec mon crayon, sur le mur peint en blanc, l’image du Christ avec sa couronne d’épines, d’après un modèle de René Kuder. Ce dessin m’a, Dieu merci, fort bien réussi. Sous l’image, sont inscrits les mots : « O Chef ensanglanté et meurtri ».
Hier, avant d’aller dormir, j’ai lu un fascicule qui portait le titre : « Méditation sur l’amère passion et mort de Jésus ». Le Christ avait dit à Ste Brigitte : « Je te recommande de garder constamment et très fort au fond du cœur deux pensées : tout ce que j’ai fait pour ton salut en souffrant et mourant pour toi. Cette pensée te gardera dans le feu de l’amour divin La deuxième, c’est de méditer sur la justice de Dieu. Là ton âme puisera une crainte salutaire ». Celui que Dieu a appelé à lui, Il veut le faire ressembler à l’image de Son Fils ; l’image de son Fils, cependant, c’est celle d’un martyr. Un de mes poèmes sur les cinq plaies du Christ devrait trouver sa place ici (39) .
Après coup, j’ai appris qu’à ma dernière célébration, dimanche, deux pasteurs protestants étaient présents : le pasteur Deckert de Saverne, et le pasteur Frey de Sélestat. Ils m’ont demandé quelle formule de prière j’avais utilisée en distribuant la Ste Communion ; j’ai répondu que, dans le temps, on disait : « Corpus Christi » ( « Le Corps du Christ ») et le fidèle répondait : « Amen » (C’est ainsi). A présent, le prêtre récite la prière : « Corpus Domini nostri Jesus-Christi custodiat animam tuam in vitam aeternam, Amen » (« Le Corps de Notre Seigneur Jésus-Christ garde ton âme pour la vie éternelle, Amen »).
Les pasteurs avaient remarqué, que les communiants s’étaient approchés avec grand respect et très dignement de la Ste Cène. On peut bien dire alors : « Lex credendi, lex agendi ! » (« Comme on croit, on agit, on vit et on prie »).
Dans ma cellule n° 1, au temps de l’occupation allemande, le rédacteur en chef de L’Humanité, Georges Wodli, avait été emprisonné. Il a dû être pendu le 2 avril 1943 au Struthof. D’autres disent, qu’il a été conduit à Strasbourg pour l’examen de son cas. On l’aurait fait descendre aux sous-sols du palais de Justice et il se serait pendu lui-même là-bas. Qui peut savoir la vérité ? Quelqu’un qui a visité ma cellule a dit : « On ne devrait pas permettre que cette vermine (c'est-à-dire nous autres) salisse la cellule qui a été occupée par un héros » (4O).
En fait, je n’ai jamais été aussi libre qu’à présent que je suis au Bunker et au cachot. Je peux disposer librement de chaque heure du jour, prier, lire, écrire, méditer, dessiner, manger - quand il y a quelque chose - boire, dormir à ma guise. Je pourrais dire avec Goethe, un peu différemment : « Prisonnier (obéissant), je me sens le plus libre ».
La dernière blague du camp : comme le pasteur Brumbt et moi sommes tous deux en captivité au Bunker, on dit dans la baraque n° 1 : « Jenn rugit » (41 ). Et le Bunker passe pour être un institut de théologie. Madame Sieffert, de Rosheim, a raconté à son mari, que des personnes à Rosheim prétendent que « le recteur Jérôme devra aussi aller à Schirmeck ». Le curé Ottmann d’Ottrott est cité dans L’Humanité. Il s’est, paraît-il, mis en avant chez les FFI. A présent, il promettrait à la femme qui distribue L’Humanité une double compensation, si elle s’en sépare. Le curé Schaeffer de Dettwiller s’est élevé violemment contre la haine de ses paroissiens et leur manque de charité ; il était tout près de les qualifier de « sale bande » ; il avait, disait-il, réussi à en finir avec la Gestapo, et pourra en finir avec eux aussi. Le « Bulletin ecclésiastique du Diocèse, de mai-juin 1945 » écrit : « Schaeffer Aloyse, né à Altdorf le 3/12/1897, est mort accidentellement le 1er /6 / 45 ».
Monsieur l’Aumônier était au camp aujourd’hui avec le cortège nuptial de sa famille. A-t-il seulement entendu parler du sort qui est le mien ? Sûrement ! Mais Mura lui aura décrit mon comportement en des termes affreux - pour cacher sa propre méchanceté - ou se faire valoir. Je suis curieux de savoir comment M. l’Aumônier va réagir. Osera-t-il me faire au moins une visite ? En réalité, je ne voudrais pas qu’il fasse lever mon astreinte et raccourcir mon séjour ici. Je suis donc si bien ici ! La solitude est une nourriture pour l’esprit. Ce n’est que pour ma sœur, que je serais content d’être libéré encore avant dimanche ; je pourrais alors m’entretenir avec elle ; sinon, nous devrons reporter notre rencontre de huit jours.
Ludi, un paroissien de Bischoffsheim - qui est victime de la haine personnelle d’un voisin - m’a apporté un morceau de pain blanc ; il se fait du souci pour moi. Peut-être pourrai-je en faire porter un morceau à ma sœur, demain. Que Dieu bénisse et protège mes frère et sœur prisonniers - Joseph et Marthe - et nous permette d’être bientôt ensemble, libres, en paix et heureux !
 
31 5 45 Troisième journée au Bunker.
J’ai envoyé à Son Excellence Mgr l’évêque, une carte de la Croix-Rouge avec ces mots :
 
Schirmeck, le 31 mai 1945
Monseigneur, 
Cette lettre vous est adressée du Bunker-prison dans lequel je me trouve pour huit jours parce que, dimanche dernier, en remplaçant Monsieur l’Aumônier, j’ai prêché en allemand. Je l’ai fait parce que 7O à 8O% de mes auditeurs ne comprennent pas le français. Aussi, personne ne m’avait défendu de prêcher dans cette langue, dans laquelle M. l’Aumônier lui-même avait également prêché le dimanche précédent.
Je m’adresse à vous, Monseigneur, pour vous demander de bien vouloir m’accorder après ma libération, congé d’une année, ou bien ma mise à la retraite définitive, puisque ma sœur et moi, après ces longues privations, nous avons tous les deux grandement besoin de nous reposer.
Veuillez agréer, Monseigneur, l’expression de mes sentiments les plus distingués.
L.Jenn
Destinataire : Monseigneur l’Evêque de Strasbourg.
Expéditeur : Lucien Jenn, Centre d’Internement de Schirmeck, Baraque 1.
 
Le 13 juin 1945 - je l’insère ici - j’ai reçu la réponse suivante, aussi sur une carte de la Croix-Rouge :
 
Monsieur le Curé, 
J’ai l’honneur de vous informer, que le Conseil épiscopal a décidé, dans sa séance d’hier, d’accepter votre demande d’admission à la retraite définitive, et de vous l’accorder dès votre libération.
Veuillez recevoir, Monsieur le Curé, l’expression de mes sentiments bien dévoués, in Xsto.
M .Lang, Secr.général.
J’ai reçu cette carte… au Struthof.
Je profite de mon astreinte au Bunker pour prier avec les cantiques du beau recueil «Jubilate », et pas seulement les premières strophes, mais aussi les suivantes. Les dernières strophes sont souvent laissées de côté, et ne sont ni récitées ni chantées, alors qu’elles sont souvent les plus belles. Ainsi la dernière strophe du choral « O Haupt voll Blut und Wunden » et la dernière strophe du cantique « O Christ hier merk » (42) .
Hier, Hans Martin a fait enlever la grille qui obstruait mon « trou de cave », afin que j’aie plus d’air et de lumière. Maintenant j’ai la vue sur la place qui s’étend devant la halle où les différents artisans ont leur atelier. A droite, mes copains scient et fendent consciencieusement du bois. Juste en face, quatre copains sortent des rondins d’un sapin. Sont-ils destinés au « Jour du Seigneur », dimanche prochain, que je devrai cette fois célébrer au Bunker ?
Je pense que Martin a encore assez de foi chrétienne pour prêter son aide. Il est notre chef de prison. Quand il a vu dans ma cellule l’image du Christ sur le mur, il a dit : « Oh, vous avez dessiné le Bon Dieu ! » Or, j’ai appris plus tard que les rondins étaient destinés à l’inauguration d’un monument patriotique. Dans un autre livret, que j’ai pu lire au Bunker, j’ai trouvé la citation suivante du fameux évêque de Ketteler : « Une mère chrétienne est la plus grande de toutes les grâces divines » (43) .
Bien des grands hommes ont reconnu sur le tard, avec émotion, qu’ils devaient leur foi uniquement à leur mère, sur les genoux de laquelle ils avaient appris à prier. Le moyen le plus élevé que possède une mère de rendre ses enfants heureux, en cette vie et pour toujours, est de les consacrer à la Mère de Dieu et d’en faire des enfants de Marie. C’est le conseil que donna la très sainte Vierge elle-même à la grande Ste Brigitte, en disant : « Fais que tes enfants deviennent aussi les miens ! ». Une jeunesse pure et non profanée fait que l’homme est aimé de tous, de sorte que même Voltaire, l’athée, a pu dire une fois : « Un jeune homme plein d’innocence est ce qu’il y a de plus beau au monde ».
Un bruit court, dans le camp, qu’une personne revenue d’Allemagne, a été battue à mort à Bischoffsheim. J’ai demandé de qui il s’agissait, mais on n’a pas pu me répondre. Est-ce que ce serait Isselé, ou Munch, Spehner ou un autre ? Cette annonce a rempli mon âme d’une grande tristesse. Un dimanche, j’avais dit à quelques adolescents qui s’étaient mal comportés à la tribune de l’église : « Vous êtes des païens ! ». Mais si la rumeur est justifiée, ces jeunes assassins seraient encore moins que des païens, ce seraient des bêtes, des monstres assoiffés de sang.
A Ribeauvillé, une femme, qui était justement indisposée, a été entièrement déshabillée et promenée à travers la rue. La famille est alors intervenue et a fait enfermer les manants.
Combien de temps encore va durer cette honteuse justice du lynchage, qui déshonore notre Alsace, si noble jadis ? La France est-elle encore un Etat de droit ? Est-ce là la France nouvelle, que l’on veut sauver et édifier ? La haine et la persécution, la diffamation, la soif de vengeance, la discorde et la jalousie, voilà les puissances qui se donnent libre cours aujourd’hui. L’arbitraire, venu d’en-haut, met en évidence l’absence de droit d’innombrables personnes qui, à cause de leur orientation politique, sont estampillées comme des criminels dignes de la peine capitale. Les meilleurs sont souvent engloutis et il ne reste que la lie. La fin, ce sera l’effondrement.
 
Quatrième jour au Bunker.
C’est le mois consacré au Cœur de Jésus. Que chaque instant, chaque jour de ce mois, soit consacré à ce Cœur divin, avec toutes les peines et les joies. « Vitam meam praevidisti », en ce mois aussi, avec tout ce qu’il pourrait m’apporter ou m’ôter, tu as tout prévu, Seigneur. La vie au Bunker n’est-elle pas intéressante et pleine de diversité ? L’ennui n’entre pas ici.
Isselé de Bischoffsheim a été amené ici avec femme et enfants. Au moment de vider les poubelles du Bunker, j’ai aperçu ma sœur qui attendait, avec un groupe de femmes, au dépôt, la distribution de balais et de râteaux. Elles doivent nettoyer la grande place où nous devons nous réunir chaque matin pour l’appel. L’air frais lui fera sûrement plus de bien que le confinement de sa cellule ou les vapeurs de la buanderie savernoise.
Le pasteur Guggenbühl m’a dit que mon frère Joseph avait besoin de chaussures. Un homme du Struthof avait transmis la demande. Mais c’est sûrement une erreur, car il avait emmené avec lui deux paires de chaussures. M. G. veut encore une fois s’informer. J’étudie l’anglais tous les jours. Louis Breitel m’a passé quelques pages d’une revue catholique anglaise. Il s’y trouve un article intéressant sur l’Eglise Unie ukrainienne.
 
2.6.45 Cinquième jour au Bunker.
Ces paroles du Psalmiste s’appliqueraient plutôt bien à certains de mes paroissiens : « Et posuerunt adversum me mala pro bonis et odium pro dilectione mea » (Ps.1O8/4) (44).
Et à mes ennemis s’appliqueraient bien les versets 21 et 22 du Psaume 93 : « Et factus est Dominus in refugium et Deus meus in adiutorium spei meas. Et reddet illis iniquitatem ipsorum et in malitia eorur disperdet eos : disperdet illos Dominus, Deus noster » (note : « Ils se rassemblent contre la vie du juste, et ils condamnent le sang innocent. Mais l’Eternel est ma retraite, mon Dieu est le rocher de mon refuge. Il fera retomber sur eux leur iniquité, il les anéantira par leur méchanceté. L’Eternel notre Dieu les anéantira » (Ps. 94/21-23) (45).
Non, ils ne conviennent plus aussi bien aujourd’hui qu’aux temps de l’Ancien Testament. Celui qui pardonne, ne souhaite plus de châtiment.
Au commandant de tous les camps, j’ai écrit la lettre suivante :
Schirmeck, le 2 juin 1945
Monsieur le Commandant,
Dans une lettre transmise par la Croix-Rouge, le 31/5, j’ai communiqué à Mgr l’évêque de Strasbourg le fait suivant : arrêté le 12/1, je me trouve ici au camp depuis le 16 janvier. Mis en liberté provisoire le 5 avril - arrêté le 29/3 - avec résidence obligatoire au mont Ste Odile, j’ai de nouveau été interné -Arrêté du 11 avril - le 3O/4 sous prétexte d’être arrivé avec un trop grand retard - justifié dans une lettre à M. le Préfet le 1er mai - au mont Ste Odile. Cinq semaines se sont écoulées depuis. Aujourd’hui, je suis pour huit jours au Bunker - le cachot du camp. Cette peine me fut infligée par le Cdt Weber parce que, Dimanche dernier, en remplaçant M. l’Aumônier du Camp j’ai, après lecture de l’Epître et de l’Evangile en français, fait un sermon en allemand ! Je proteste contre cette punition trop grave et sans doute injuste, car personne ne m’avait défendu de prêcher dans cette langue et le dimanche précédent, M. l’Aumônier lui-même avait prêché en allemand, parce que 7O – 8O% des internés ne comprennent pas assez le français. Pour les mêmes raisons, M. le Commandant Weber, lui-aussi, est forcé, s’il veut être compris, de faire ses remarques et ses observations en patois alsacien chaque fois qu’il passe dans les baraques du camp.
Veuillez agréer, M. le Commandant, l’expression de mes sentiments les plus distingués.
Lucien Jenn, Baraque 1,5.
Destinataire : Monsieur le Commandant de tous les camps d’internement.
Strasbourg, Bas-Rhin, rue du général Rapp.
Expéditeur : Lucien Jenn, Curé de Bischoffsheim. Centre d’internement de Schirmeck, baraque 1.
Je n’ai reçu aucune réponse à cette lettre.
A 8h3O, j’ai dû ranger la cellule de Wodli ; étant la prison d’un héros, qui a dû sacrifier sa vie pour la cause française en Alsace, elle ne sera plus occupée, mais sera montrée aux visiteurs du camp comme une sorte de lieu sacré. Est-ce qu’on laissera l’image du Christ, que j’ai dessinée sur le mur de la cellule ? Pour moi, ce dessin a été, en ces jours, une image sainte qui m’a encouragé au calme et à la patience. Il a rempli son rôle.
Je n’ai pas encore reçu les pages d’été du bréviaire. Et ainsi, il me sera impossible de réciter le magnifique Office des Morts, composé par St Thomas d’Aquin. Demain, c’est la fête de notre cher saint alsacien, saint Morand. Le bréviaire précise que Friedrich, le duc de Pfirt, avait demandé à St Hugues de Cluny, de lui mettre quelques prêtres à disposition pour de diocèse d’Altkirch. « Annuit abbas piae comitis pretifioni - L’Abbé accepta volontiers la demande du pieux duc ».
Les habiles prêtres envoyés ne pouvaient pas réaliser grand-chose tout seuls : « ob patrii idiomalis ignorantiam », parce qu’ils ne comprenaient pas la langue maternelle de la population. C’est ainsi que Morand a été envoyé : « Galliae iuxta germanicae lingua peritus », parce qu’il possédait aussi bien la langue française que la langue allemande. Par sa parole, son exemple et ses miracles, Morand a « ad sanctiorem vitam excitavit », incité beaucoup d’hommes à sanctifier leur vie. Morand aurait certainement prêché en allemand, dimanche dernier (46) .
Justement, M. l’Aumônier était chez moi à l’instant. Il m’a demandé ce qui s’est donc passé, pour que je sois au Bunker. Je lui ai raconté toute l’histoire, en relevant que Madame Emmendorfer qui avait, de façon ostentatoire, quitté la salle au milieu de la prédication, et Mura, qui a été excité par elle contre moi, portent la plus grande responsabilité de mon malheur. Je lui ai aussi fait part de ma double requête à l’évêque et au commandant Boissonnier. Il a pensé qu’il aurait été plutôt de son ressort de protester contre mon internement au Bunker. Mais ce qu’il a voulu dire par là ne m’était pas très clair. J’ai répondu : « Vous le saviez donc ; on vous en avait sûrement informé ». Il rétorqua : « Oui, M. Mura et M. le Commandant » (eh bien donc). Il m’a donné aussi le bonjour du curé Rauch et du curé Cridlig. Les deux sont encore au mont Ste Odile. Même si j’étais encore là-haut, je ne serais pas heureux, sachant mon frère et ma sœur dans le malheur. Ainsi, je suis content de pouvoir partager leur peine.
« Il était une fois… », c’est ainsi que commencent tous les contes de fées, et aussi celui que je viens de lire : « Il était une fois un grand et puissant roi, qui régnait sur de nombreux pays. Tous les trésors de la terre lui appartenaient et son passe-temps quotidien était de s’amuser avec les pierres précieuses d’Ophir et les roses de Damas. Mais une chose lui manquait, dans sa grande richesse : c’était les clés des portes du ciel. Il avait dépêché mille messagers pour chercher les clés du ciel, mais aucun ne put les lui rapporter. Il avait interrogé nombre de savants venus à sa cour, pour savoir en quel lieu il serait donc possible de trouver les clés du ciel, mais ils ne pouvaient lui répondre. Un seul, venu de l’Inde, au regard étrange, avait écarté de la main, avec un sourire moqueur, les pierres précieuses d’Ophir et les roses de Damas, avec lesquelles le roi s’amusait, et lui dit : « Tous les trésors du monde, on peut les recevoir en cadeau, mais les clés du ciel, il faut les chercher soi-même ».
Alors le roi résolut de trouver lui-même les clés, quoi qu’il dût lui en coûter. (Manfred Kuhn : Les Clés du Ciel ).
En réalité, les clés du ciel sont faciles à trouver. Nous savons parfaitement qui les détient et de qui celui-ci les a obtenues. Le maître des clés est St Pierre : « Je te donnerai les clés du Royaume des cieux » (Mt 16/19). « Ce que tu délieras sur la terre sera délié dans le ciel »
St Pierre et ses successeurs possèdent les clés du ciel ; c’est ce qu’attestent les claires paroles et les promesses du Christ ; elles ont le pouvoir de conférer au cœur assoiffé de bonheur, la grâce, la sérénité et la paix, et enfin de lui ouvrir le ciel. L’homme de l’Inde a mis de côté les pierres précieuses d’Ophir et les roses de Damas, « … non pas avec des choses passagères, non avec de l’or et de l’argent, mais c’est avec le sang de l’agneau sans tache, Jésus-Christ, que vous serez sauvés » (1 Pi 1/18-19 .
 
Réflexions bucoliques en prison.
 
J’ai pensé à mon village paroissial où il y a beaucoup de fermes, quand j’ai lu cette description caractéristique : «  Le village est un concert de bruits divers : le doux roucoulement des pigeons, le caquetage excité de la basse-cour, l’aboiement enragé des chiens, le sourd meuglement du bétail, le bêlement apeuré des moutons, tout cela se mêle au cliquetis des faux, au bruit sourd de la batteuse, au fracas des charrettes, au grognement des cochons, au barbotage des oies, aux cris : « hue et hot ! » des valets de ferme (47), avec le tintement des seaux de lait, le bruissement ondulant des étendues de blé mûr, le rire sonore des moissonneuses, et l’appel solennel des cloches, le soir » (Hans Wolf).
Ce qui est oublié ici, ce sont les cris des enfants qui jouent. Une fois la classe terminée, les petits garçons et les fillettes s’ébattent par les rues et les chemins, les places et les fontaines. Un village sans cris d’enfants serait, malgré tous les autres bruits, un village mort, sans vraie vie, sans avenir, sans joie et sans but.
Ce soir à huit heures, un homme, une femme et une petite fille ont été amenés au camp par Louis, le fossoyeur. Les femmes avaient la tête entièrement rasée (48). On leur avait dessiné des croix gammées sur le visage, avec de l’encre ou de la peinture noire – peut-être du cirage. Elles présentaient des plaies sur la tête, par les maltraitances qu’elles avaient subies. On les obligea à chanter : « S.A. marchiert ! » Ces malheureuses viennent, paraît-il, de Wangen, près de Wasselonne. Honneur à ce village !
Je parlais justement avec Isselé. Il était de l’autre côté, en Allemagne. On enlève aux Alsaciens les cartes d’alimentation, ce qui fait qu’ils doivent de nouveau retourner en Alsace. Il a voulu aller à Maisongoutte, mais a été arrêté à Sélestat.
L’habitant de Bischoffsheim qui, à la suite des sévices est, paraît-il, couché là en train de mourir, serait, d’après les uns, le fils de François Welter, et d’après les autres, le sieur Henrion. Honneur aussi à ce village, le mien !
 
3.6.45 6e jour au Bunker.
C’est le jour de la Fête-Dieu. M. l’aumônier avait promis de nous apporter, à M. le professeur Schwarz et à moi, la Ste Communion, mais…il a oublié. Il n’est venu qu’à midi moins le quart pour s’excuser. Toute la matinée, j’ai travaillé au dessin du Christ, que M. Martin m’avait demandé de faire pour lui. Je voulais le finir dans l’après-midi, mais c’est alors que M. Mura est venu : « dépêchez-vous de vous habiller en civil ! Vous montez auprès de votre frère au Struthof. »
 
(La suite du Journal de l’abbé Lucien Jenn, dans : La Voix… n° 27, juin 2O21.)
 
N O T E S .
 
( 1) L’Arbeitsumschulungslager (camp de reconversion par le travail) de Vorbrück-Schirmeck a été créé par les nazis pendant l’été 194O. Dirigé par Karl Buck, il a fonctionné jusqu’en novembre 1944. 15.OOO détenus alsaciens-mosellans étaient parqués dans les 14 baraques du camp, dans des conditions inhumaines. Le froid, la faim, le travail incessant, les menaces et les tortures étaient destinés à briser leur résistance au régime. Voir en particulier : Jean-Laurent Vonau , Le Sicherungslager Vorbrück-Schirmeck, un camp oublié en Alsace (Strasbourg, éd.du Signe, 2O17). Il a été utilisé ensuite par les Français de l’épuration, dans les mêmes conditions (cf. La Voix… n° 25, avril 2O21, p.2 : ce qu’en dit l’historien Bernard Wittmann).
 
(2) Il est étrange de penser qu’au même moment, Hitler se suicidait.
 
(3) Le texte de la lettre est en français.
 
(4) « Dehors, le pilleur français ! »
 
(5) Le peintre René Kuder est né à Villé le 23 novembre 1882 et mort à Strasbourg le 23 septembre 1962. Il a étudié les Arts décoratifs à Strasbourg et à Munich. Il a décoré de nombreuses églises d’Alsace , notamment celle de Maisongoutte où il a peint douze vitraux ainsi que les plafonds en 1913’1914, et celle de Cernay, où il a représenté, de mai à novembre 193O, le Symbole des Apôtres en dix tableaux monumentaux (4,5 m sur 2,95) , inscrits au Patrimoine à partir de 2OO2.
 
(6) Gaston Haelling, est né à Montrouge le 16 avril 1886, et mort à Paris le 17 juillet 1957, il a été ingénieur des Ponts et Chaussées en 1913, directeur des Ports de Strasbourg et de Kehl en 1923, directeur du Port autonome de Strasbourg en 1926, directeur général de la Société de construction des Batignolles en 1939 ; nommé préfet du Bas-Rhin par le Général de Gaulle le 23 novembre 1944, il reste en poste jusqu’au 8 mai 1945. Il est ensuite président de la Cellulose de Strasbourg , puis président de la SADE (Société Alsacienne de Développement et d’Expansion). Il a publié notamment : Une Préfecture désannexée : Strasbourg, 23 novembre 1944 – 8 mai 1945 (Strasbourg, éd. Le Roux, 1954).
 
(7) Alfons Jakob Jenn (né à Niederburbach le 12 janvier 1858, et mort à Bischoffsheim le 25 juillet 1935), et Maria Kolb, décédée en 1915, ont eu quatre enfants : Martha (1/2/189O - 17/3/1947), emprisonnée à Saverne et à Schirmeck, où elle a beaucoup souffert ; Auguste , qui avait émigré dans le Nebraska (USA) en février 1914, pour être fermier à Osceola, et a eu quatre enfants ; Joseph, emprisonné à Schirmeck et au Struthof ; et Lucien (1884 – 1976). Nous avons écrit à Lucienne Jenn , sa nièce (et sans doute la fille de Joseph), résidant à Thann, pour lui demander de plus amples renseignements sur cette famille, et nous attendons sa réponse.
 
(8) En français dans le texte.
 
(9) Tout ce dialogue est en français dans le texte.
 
(1O) En français dans le texte.
 
(11) En français dans le texte.
 
(12) Ortsgruppenleiter.
 
(13) D’après notre auteur, encore en 1945, l’allemand et l’alsacien sont les plus répandus en Alsace , avec un pourcentage de 8O à 9O %, semblable à celui de 1918. On peut se demander ce que signifiait, en Alsace, cette résistance obstinée au français : un plébiscite déguisé ?
 
(14) Il s’agit de l’aumônier catholique.
 
(15) « Les Français ne valent rien ! Les Français dehors ! » Le Maroc, était sous protectorat français et espagnol depuis la conférence d’Algésiras en 19O6. Mais le sentiment national et la volonté d’indépendance n’avaient jamais disparu. Entretenu depuis les années trente par Ahmed Balafredj (qui devint secrétaire général du Parti national en 1937), le nationalisme marocain se manifesta contre la France, en zone espagnole, dès 1945, dans des partis comme le P.U.I.M. (Parti de l’unité et de l’indépendance marocaine) et le P.R.N. (Parti des réformes nationalistes). Après de longues années de troubles, l’indépendance du Maroc a été reconnue par la France et l’Espagne en 1956. Dans notre récit, ce Marocain semble aussi militer pour l’autonomie de l’Alsace !
 
(16) Ils rentrent du travail à la voie ferrée.
 
(17) Les a dénoncées aux responsables de l’épuration comme anciens collaborateurs nazis, alors qu’il passait pour l’avoir été lui-même.
 
(18) « Doux et furieux, dur et tendre, ciel et blanc moisi, maternel et libertin » : pas de rimes en français !
 
( 19) En français dans le texte.
 
( 2O) L’abbé Lucien Pfleger  né le 1O janvier 1876 à Dachstein, décédé le 21 juillet 1944 à Marlenheim , a été professeur au Bischöfliches Gymnasium (Collège épiscopal) de Strasbourg en 1936. Il a écrit, en 1941, une Histoire ecclésiastique de la Ville de Strasbourg au Moyen-Age, (Kirchengeschichte des Stadt Strassburg im Mittelalter), l’Histoire des paroisses alsaciennes (1936), l’Histoire de la Congrégation des sœurs du Très-Saint-Sauveur (sœurs de Niederbronn) (1925), l’Histoire de l’Enseignement catéchétique en Alsace (1922), La prédication de Geiler de Kaysersberg à Strasbourg (19O7).
 
(21) Des sacs de couchage.
 
(22) C’est ce qui va lui causer de graves ennuis, comme on va le voir bientôt.
 
(23) Ajouté au texte après-coup par l’abbé Jenn : « En 1947, ce voyage se réalisa. 9 ans en Amérique ». :
 
(24) Un dicton inconnu.
 
(25) On dit en français : « En selle, on voit le cavalier ».
 
(26) Le mot « Pfaff » est un terme injurieux.
 
( 27) Il s’agit bien de Martha. Erreur de transcription ou acte manqué de l’abbé Lucien, en pensant à sa mère Maria ?
 
( 28) Les humiliations psychologiques étaient tout aussi douloureuses que les coups.
 
( 29) Il s’agit de 2 Tm 2/9.
 
(3O) L’abbé Jenn a relu bien plus tard et complété ses notes de captivité.
 
(31) Au cours de ces mêmes années (1963 – 1965), le second Concile du Vatican s’étendait sur le problème de la communication et de la compréhensibilité du message , souhaitant que l’Eglise se serve des langues des divers peuples (Constitution pastorale sur l’Eglise dans le monde de ce temps, Gaudium et Spes : 44/268) ; veille à des traductions appropriées dans diverses langues (Constitution dogmatique sur la révélation divine, Dei Verbum : RD 22/142) ; pourvoie aux besoins des fidèles d’une langue différente (Décret sur la charge pastorale des évêques dans l’Eglise, Christus Dominus 23/371) ; que les prêtres connaissent bien la langue du pays où ils travaillent, (Décret sur le ministère et la vie des prêtres, Presbyterium ordinis 1O/419, et Décret sur l’activité missionnaire de l’Eglise, Ad gentes 26/584 ; 34/592); qu’ une plus large place soit accordée à la langue du pays (Constitution sur la sainte liturgie, De sacra liturgia 36/167) et dans les messes célébrées avec le concours du peuple ( De sacra liturgia 54/174) ; que l’usage du latin soit conservé dans les rites latins, dans l’Office divin, et que l’emploi de la langue du pays soit facultatif ( De sacra liturgia 36/166s, 1O1/19Os ). (Voir : Concile œcuménique Vatican II : Constitutions, Décrets, Déclarations. Paris, éd. du Centurion, 1967).
 
(32) Le député Henri Meck est né à Saverne le 31 juillet 1897 et décédé le 25 décembre 1966 à Strasbourg.. Député du Bas-Rhin de 1928 à 1932, de 1932 à 1936 (Groupe Démocratie populaire) ; de 1936 à 1942 (Indépendants d’action populaire) ; d’octobre 1945 à 1946, de juin 1946 à novembre 1946, de novembre 1946 à 1951, de 1951 à 1955, de 1956 à 1958 (Mouvement républicain populaire) ; de 1958 à 1962 (Républicains populaires et centre démocratique) ; de 1962 à 1966 (Centre démocratique).
 
(33) L’abbé Jenn cite de mémoire. Nous traduisons ce qu’il a écrit. Ici : 1 Cor.14/9.
 
(34) 1 Cor. 14/11.
 
(35) La phrase : « qu’on ne comprend pas » est ajoutée par notre auteur. Dans 1 Cor.14/19, St Paul ne veut pas seulement insister sur la clarté de l’élocution, mais rejeter aussi la prétention de ceux qui croient parler des langues étranges, sous l’effet du Saint-Esprit.
 
(36) 1 Cor.4/11-13.
 
( 37) 2 Tim.4/14-17a.
 
( 38) Pour cet autonomiste, la France est son pays quand même.
 
( 39) Le poème en sept strophes :
1. Je vois couler cinq petits ruisseaux 4. O Jésus, t’appartenir,
Cinq ruisseaux rouges de sang. C’est ce que je veux totalement,
Qui jaillissent des mains, des pieds Rien ne doit plus égarer,
Et du cœur si bon de Jésus. Celui qui t’a été souvent infidèle.
 
2. O petites fontaines, 5. A l’heure de ma mort,
Lavez mon corps et mon âme, O Jésus, elle viendra bientôt,
Pour que la mort et la peine éternelle Que la plaie de ton cœur,
Ne me surprennent pas. Sois mon refuge, ma protection et mon appui.
 
3. Pardon et miséricorde 6. O Jésus, tes plaies,
M’apportent la douleur de tes plaies, Je ne veux pas les oublier,
A moi, le pauvre, Par elles sont vaincus
Dans la vie et la mort. Le péché, l’enfer, la mort, le jugement.
 
7. C’est pourquoi je veux
Accourir Jour après jour
Vers ces petites fontaines
Et Jésus guérira alors toutes mes blessures..
 
(4O) Nous citons ici la fin de notre conférence sur Georges Wodli, donnée à Ste Marie-aux-Mines le 5 février 2O19 : « Le 3O octobre 1942, Georges Wodli se trouve à Chatou dans les Yvelines, cherchant à rejoindre sa famille qui avait été expulsée et s’était réfugiée à Gretz, où il avait travaillé. La police de Vichy le surprend de nuit, l’incarcère puis le conduit à Fresnes. Elle le livre à la Gestapo le 18 novembre.
Le 16 janvier 1943, il est transféré au camp de Schirmeck. On le conduit régulièrement à Strasbourg, à la rue Sélénick, pour des interrogatoires qu’il subit sous les coups et la torture.
Lors d’un de ces interrogatoires particulièrement barbare, il meurt sous la torture, le 2 avril 1943. Son corps est ramené au camp de Schirmeck. Ses tortionnaires : Schleite, Wolters, Hilger et Wunsch avaient fait croire qu’il s’était pendu dans sa cellule, version qui figurait sur son acte officiel de décès.
De Schirmeck, la dépouille de Georges Wodli fut conduite au crématoire du Struthof pour y être incinérée. Ses cendres ont été dispersées là-haut.
La reconstitution du Parti communiste alsacien, dans la ligne du pur Communisme international, la lutte contre le nazisme qui cherchait à le détruire, mais aussi le rêve de l’Alsace française, intégrée à la patrie de la liberté de pensée et d’expression, où le Parti communiste aurait de nouveau sa place et pourrait déployer son idéologie : c’était bien cela le but et le combat de Georges Wodli. Il avait d’avance accepté de le payer de son sang, comme tant d’autres, qu’il avait vu mourir avant lui. »
 
(41) « Jenn brummt ».
 
(42 Dans le cantique luthérien  la version française s’éloigne assez du « Wenn ich einmal soll scheiden… » :
« A mon heure suprême,
Ne m’abandonne pas.
Viens alors, viens toi-même ;
Me prendre dans tes bras.
Au fort de l’agonie,
Me serrant sur ton cœur,
Ouvre-moi la Patrie
Et l’éternel bonheur
(Recueil Louange et Prière, n° 119 : « Chef couvert de blessures »)
 
Il faudrait traduire :
« Si je dois partir un jour, « Wenn ich einmal soll scheiden,
Ne t’éloigne alors pas de moi. So scheide nicht von mir.
Si je dois endurer la mort, Wenn ich den Tod soll leiden,
Interviens alors en ma faveur. So tritt Du dann herfür.
Quand l’angoisse suprême Wenn mir am allerbängsten
Etreindra mon coeur Wird um das Herze sein,
Délivre-moi de la peu r So reiss mich aus den Ängsten
Par ton angoisse et ta peine. Kraft Deiner Angst und Pein“
 
L’autre cantique cité est celui-ci :
« A ma mort, « Vor meinem Tod,
Dans l’angoisse suprême, In letzter Not,
Christ, homme et Dieu, Christ Mensch und Gott ,
Viens près de moi, Komm doch zu mir, ,
Pour que ce soit en Toi, Dass ich in Dir, ,
Que je parte d’ici. Ave JesuDann scheid von hier. Ave Jesu.
 
(43) Wilhelm Emmanuel von Ketteler (1811-1877), né à Munster en Westphalie, était évêque de Mayence. Il a été appelé « l’évêque socialiste », son orientation religieuse le portant vers le Christianisme social.
 
(44) Ps 1O9/4-5 : « Tandis que je les aime, ils sont mes adversaires. Ils me rendent le mal pour le bien, et de la haine pour mon amour ».
 
(45) A l’évidence, l’abbé Jenn cite de mémoire. Ps.94/21-23 : « Ils se rassemblent contre la vie du juste, et ils condamnent le sang innocent. Mais l’Eternel est ma retraite, mon Dieu est le rocher de mon refuge. Il fera retomber sur eux leur iniquité, il les anéantira par leur méchanceté. L’Eternel notre Dieu les anéantira ».
 
(46) Saint Morand : Né en 1O49 près de Worms, dans une famille noble. Lors d’un pèlerinage à Compostelle, il décide de devenir moine bénédictin et entre à l’abbaye de Cluny. En 11O6, à cause de sa connaissance de la langue alémanique, il est envoyé avec deux acolytes, dans le Sundgau., au prieuré d’Altkirch, que le prieur avait dû quitter parce qu’il ne savait pas la langue du pays. Son zèle pastoral et ses miracles firent que les habitants du Sundgau le considérèrent comme leur saint patron. Il mourut le 3 juin 1115 à Altkirch . Sa chambre mortuaire, dans le cloître, est devenue l’oratoire de l’hôpital d’Altkirch. St Morand fut canonisé en 1181 sur la demande de l’ évêque de Bâle.
 
(47) « A droite ! A gauche ! », pour diriger les chevaux d’attelage.
 
(48) Même la fillette, apparemment. 
 
L A   P H R A S E   D U   M O I S :
 
« L’usage de la langue latine, sauf droit particulier, sera conservé dans les rites latins.
Toutefois, soit dans la messe, soit dans l’administration des sacrements, soit dans les autres parties de la liturgie, l’emploi de la langue du pays peut être souvent très utile pour le peuple. On pourra donc lui accorder une plus large place.» (Concile Vatican II, Constitution sur la sainte Liturgie, 36 § 1 et 2). 
 
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La Voix dans le Désert. Mensuel gratuit du Château d’Argent.
Directrice de publication : Danielle Vincent.
Editions du Château d’Argent, 185 rue de Lattre de Tassigny, 6816O Ste Marie-aux-Mines.
Mise en page et impression : ZAPA Informatique.
ISSN : 265O-7225. Dépôt légal : 2e trimestre 2O21.