Musée du Chateau d'Argent

Journal mai 2025

L A   V O I X   D A N S   L E   D E S E R T

Mensuel gratuit du Château d’Argent

 76 - Mai 2025

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O P T I M U M  E S T  G R A T I A   D E I 
 
Près de Besançon, à la sortie du village de Bouclans, se trouve une abbaye cistercienne, habitée par des moniales : l’Abbaye de la Grâce-Dieu.
 
Souvent, je partais de Schiltigheim en 2CV pour rejoindre là-bas soeur Berthe, et soeur Anne-Marie. Quand il n’y avait plus de place à l’hôtellerie, la seule chambre qui était encore libre, parfois, était « la chambre du clochard ». Je m’y trouvais bien aussi.
 
Les sœurs accueillaient tout le monde et avaient pour chacun, pour le clochard également, une gentille parole et de longs moments d’écoute. Jamais elles ne portaient de jugement, ne faisaient le moindre reproche ni ne montraient d’impatience.
 
Sur le fronton de l’abbaye on pouvait lire ces mots :
« Optimum est Gratia Dei ».
 
Il me semble entendre quelqu’un me parler de l’Au-delà et me dire :
 
« Je ne suis pas le clochard de soeur Anne-Marie. Mais, plus que lui, j’avais besoin d’être compris, aidé et pardonné.
 
Mon parcours a été compliqué. Je suis passé, « dans ma criminelle adolescence », par de tortueux chemins. « Le flot redoutable des tentations », comme je l’ai écrit, m’attirait plutôt vers les garçons. J’avais un ami qui était « la moitié de mon âme » et que j’ai perdu. Ce n’était pas une relation platonique.
En même temps, et depuis l’ adolescence, je courais les femmes à n’en plus finir, et me suis aussi mis à vivre en concubinage. J’avais encore un nouvel ami que j’aimais « plus que ma vie ». J’étais « malade dans l’âme », et j’ai abandonné cette femme avec le fils qu’elle m’avait donné. Peut-être, comment savoir, y a-t-il eu d’autres enfants, au gré de mes aventures.
 
J’ai longtemps erré entre les croyances diverses de mon temps.
Et puis, la Grâce de Dieu aidant, je me suis tourné vers l’Evangile, pour compenser ma soif d’absolu. Cela n’a pas été sans peine : il fallait renoncer à mes frasques ; ce fut long et déchirant. Pour faire ce choix, j’étais comme au bord de la mort. Je m’y suis peut-être trop forcé. Il faudrait qu’une conversion vienne d’elle-même naturellement ; qu’elle soit donnée. Moi, je l’avais arrachée de force. Ce n’était pas la meilleure des choses.
 
J’ai rejoint l’Église, j’ai fait des serments. A part moi, Dieu seul et mon confesseur savaient si je les ai tenus. 
 
J’étais un bel homme et je séduisais. Les femmes m’entouraient comme un essaim d’abeilles, et m’aidaient dans mon ministère. Mais le besoin de drogue est contraignant, parfois. J’ai eu de nouvelles liaisons. Mon confesseur a connu mes rechutes. C’est un grand sacrement que celui de la confession : on n’est plus jamais seul ; c’est le sacrement du frère. Car celui qui vous écoute passe sans doute par le même chemin.
 
Il y a eu, comme toujours, dans mon sillage, beaucoup de soupçons, de bavardages et d’accusations. Mais Dieu seul peut vraiment juger. J’ai eu de nombreux ennemis. J’ai été trahi et rejeté par ceux à qui j‘avais fait le plus de bien. L’être humain est impitoyable, heureux de pouvoir se blanchir en dénonçant.
 
J’avais une seule consolation : c’était de savoir que la Grâce de Dieu est encore plus forte : « Là où le péché a abondé, la Grâce a surabondé ». Celui qui a écrit cela avait persécuté et fait mourir beaucoup de gens. Il est devenu un grand saint. Un autre, proche du Christ, l’a renié plusieurs fois. Il est devenu un grand saint lui-aussi. Et tant d’autres encore… Je connais des hommes qui ont fait pire que de taquiner le cotillon, et qui ont été élevés à la sainteté.
 
Je m’étais éloigné de ces personnes qui voulaient être plus parfaites que les autres. On leur a donné toutes sortes de noms au cours des âges ; les plus fameux étaient les Manichéens et les Cathares. Chaque époque fait naître ses inquisiteurs, ses justiciers et ses bûchers.
 
Moi, je voulais suivre celui qui a recommandé de ne pas juger, de ne pas jeter la pierre, puisque personne n’est sans tache. Si l’on regarde bien, nous sommes tous de grands pécheurs. Un psy dirait : « de grands malades qui se mentent à eux-mêmes ».
 
Soeur Berthe et sœur Anne-Marie avaient raison ; elles refusaient de juger, mais voulaient avant tout comprendre les causes, le pourquoi, comme un médecin. Alors seulement on peut soigner.
 
Vous allez me demander qui je suis ?
 
Non, je ne suis pas l’abbé Pierre. Je suis saint Augustin ». 
 
Danielle Vincent.
 
 L A   P H R A S E   D U   M O I S : 
 
« Moi, j’ai consenti à commettre un vol et je l’ai commis sans que nul besoin m’y poussât. J’aimais le fait de me perdre, j’aimais ma dégradation : turpitude d’une âme qui croule en éclats et désire la honte elle-même ».
 
(St Augustin, Confessions, livre II).
 
Château d’Argent : Comprendre pour s’entendre.
 
La Voix dans le Désert. Mensuel gratuit du Château d’Argent.
Directrice de publication : Danielle Vincent.
Editions du Château d’Argent, 185 rue de Lattre de Tassigny, 68160 Ste Marie-aux-Mines.
Mise en page et impression : ZAPA Informatique.
ISSN : 2650 – 67225.
Dépôt légal : 2e trimestre 2025.

Paraît sur internet : www.museechateaudargent.com