Musée du Chateau d'Argent

Journal avril 2025

L A   V O I X   D A N S   L E   D E S E R T

Mensuel gratuit du Château d’Argent

75 - Avril 2025

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PATRIMOINE.

Les Petites Villes de Demain avaient visité l’ancien Grand-Hôtel de Ste Marie-aux-Mines l’année dernière. En sortant, la délégation rendit son verdict :
 
« Il faudra tout démolir, et ne laisser que les quatre murs ».
 
Cet ensemble de trois bâtiments a été construit en 1848 ; il y a donc 177 ans. Les parquets en chêne Versailles datent de cette époque, comme les double-portes à vitres biseautées ; également les immenses escaliers en chêne, montant en volutes sur trois étages jusqu’aux combles. Les plafonds moulurés s’élèvent à plus de 4 mètres de hauteur, et les trois grandes cheminées de marbre ouvragé ont elles aussi presque deux siècles.
 
Le notaire, dans les années 2007, nous avait conseillé de revendre l’immeuble aux HLM. Nous avons refusé.
 
Certes, il était difficile de créer des gîtes, comme nous en avions l’intention en achetant le Grand’Hôtel en avril 2004. Au regard de la surface du bâtiment, les normes qui devaient s’appliquer à des gîtes étaient en fait celles d’un hôtel. L’APAVE, nous avait dit avant l’acquisition : « Achetez d’abord, nous viendrons voir après ». Elle nous a ensuite dressé la longue liste des travaux à effectuer pour répondre aux normes d’un hôtel. Par exemple :
Abattre les escaliers s’élevant de part et d’autre à l’intérieur de l’immeuble principal et faire des marches en béton. Arracher les double-portes vitrées d’époque pour les remplacer par des portes coupe-feu. Installer des ascenseurs de chaque côté. Aménager des accessibilités pour handicapés. Abaisser les plafonds. Oter les anciennes fenêtres et les remplacer en double-vitrage. Et bien d’autres transformations encore. Autrement dit, faire du Grand-Hôtel une espèce d’HLM.
 
Nous connaissions quelqu’un qui avait acheté lui-aussi une belle maison ancienne. Il nous a confié que c’est en pleurant qu’il a pris sa tronçonneuse et a abattu les superbes escaliers en chêne sculpté pour les remplacer par des marches en béton. Il a créé une dizaine d’appartements.
 
Pour la municipalité que j’ai consultée, et sur le conseil des « Petites Villes de Demain », il aurait fallu faire encore bien plus : abattre carrément tout, et ne laisser que les quatre murs. Ah, cette jeunesse !
 
Pour « faire moderne », on n’hésiterait pas à dénaturer une maison et même une ville. C’est le problème actuel des maisons alsaciennes, par exemple. On frémit en se demandant ce que seraient devenues notre vieille scierie (trois étoiles au Guide du Routard) et ses machines à ce régime : détruites avec la cheminée, comme toutes les autres de la vallée. Détruites, comme le marché couvert de notre ville, qui a été remplacé par l’horrible papillon géant d’un marché ouvert aux quatre vents et par une salle de réunion qui, comme sans doute les décideurs de l’époque, est basse de plafond. Certains architectes dorment mal la nuit et délirent le jour. Il suffit de voir les casseroles entassées du palais de l’Europe à Strasbourg. Sur la façade de plusieurs immeubles, de plus en plus nombreux, d’affreuses portes d’entrée en PVC viennent remplacer les belles portes en chêne sculptées, déparant toute la façade et aussi le quartier.
 
Or, l’âme d’une ville, c’est son passé.
 
Avant nous, le Grand’Hôtel avait déjà subi des modernisations : l’entrée vitrée a remplacé les immenses portes en chêne, entreposées maintenant dans le garage ; du lino avait été collé sur les parquets Versailles dans certaines pièces et du Tapisom sur les grands escaliers ; des rayonnages en Formica déparaient la grande salle de droite ; les moulures du plafond de la « Salle de Jeux » du premier étage avaient été rabotées et les suspensions, certainement anciennes, remplacées par des néons. De grands miroirs à cadres ouvragés, également d’époque Louis-Philippe, avaient été remisés au grenier où ils ont beaucoup souffert. On avait aussi collé des morceaux de lino sur le rebord des fenêtres. Ces modifications, pour la plupart, n’étaient heureusement pas irréversibles.
 
Mais, quand on pénètre en ces lieux, même vides, on est saisi par leur beauté et on réalise que le Grand-Hôtel, en lui-même, est déjà un musée.
 
Avec le mobilier approprié, être un musée c’est, à mon avis, la seule véritable vocation de ce bâtiment. Je pense à l’exemple donné par le musée d’arts décoratifs de La Folie Marco, à Barr. Il est abrité dans l’écrin d’une ancienne villa habitée par les frères Marco, collectionneurs passionnés, qui ont fait don de leurs acquisitions à la ville de Barr. Elle a su apprécier cet héritage et le valoriser en l’ouvrant au public. Tout y est resté authentique. Modifications et mises aux normes modernes sont invisibles. On appelait ces anciennes villas de gens très riches, des « folies ».
 
Maintenant, la folie a changé de camp. Elle consisterait à moderniser le Grand-Hôtel pour en faire par exemple des appartements.
 
Il y avait récemment des acheteurs intéressés qui auraient donné le bon prix. Ces investisseurs auraient voulu créer une dizaine d’appartements. En réalité, on pourrait en faire beaucoup plus.
 
Eux auraient été obligés d’arracher presque tout. Mais ils n’auraient pas abattu les grands escaliers en pleurant. Ni les portes biseautées. Ni les plafonds moulurés. Ils n’étaient pas attachés à ces lieux magnifiques. Ils n’auraient eu que faire du patrimoine ancien.
 
C’est nous qui aurions pleuré. Et nous n’aurions jamais surmonté notre chagrin.
 
Chacun a une responsabilité envers sa ville. Chacun a le devoir moral de porter l’âme de sa ville.
 
Notre demande de classement aux Monuments historiques est toujours en cours, depuis longtemps.
 
C’est pourquoi nous avons dit non aux investisseurs. Une dernière fois.
 
Ariel et Danielle Vincent.
 
L A    P H R A S E    D U    M O I S :
« L’âme d’une ville, c’est son passé ».
D.V.
 
Château d’Argent : Comprendre pour s’entendre.
La Voix dans le Désert : mensuel gratuit du Château d’Argent
Directrice de publication : Danielle Vincent.
Editions du Château d’Argent, 185 rue de Lattre de Tassigny, 68160 Ste Marie-aux-Mines.
Mise en page et impression : ZAPA Informatique.
ISSN : 2650 – 7925.
Dépôt légal : 2e trimestre 2025.