Musée du Chateau d'Argent

Journal septembre 2024

L A    V O I X    D A N S    L E    D E S E R T
 Mensuel gratuit du Château d’Argent 
N° 69   -   Septembre 2024
 

Les mouvements réformateurs en Europe

du bas Moyen-Âge jusqu’en 1517.

 

I  -  Les Conciles contre les Papes. 

Vous ne connaîtrez jamais cette histoire, à moins de vous plonger pendant des jours dans des manuels d’histoire ecclésiastique, aussi denses qu’une forêt amazonienne, ce que vous ne ferez probablement qu’à titre exceptionnel.  Les tentatives de réformes des XIVe, XVe  et du début du XVIe siècles constituent pourtant des maillons importants et passionnants de la chaîne qui relie l’Europe à ses origines chrétiennes.
 
La réforme de Luther n’est pas apparue spontanément en 1517, avec l’affichage des quatre-vingt-quinze thèses à la porte de l’église de Wittenberg.  Elle a, bien au contraire, été l’aboutissement de plusieurs siècles de tentatives de réformes accouchées dans la douleur et de suite éliminées. 
 
 La volonté de réformer l’Eglise romaine avait germé d’abord au sein de la Curie elle-même, par l’opposition des conciles, sans cesse réprimée par les papes.
 
Il fut repris par des individus, dans plusieurs pays dont l’Angleterre, la France, la Bohème et l’Allemagne. Ces mouvements individuels ont été radicaux et se sont terminés par des excommunications  et des exécutions.
 
Un mouvement de réforme plus insidieux et pacifique, se répandant hors des frontières et en vague souterraine, gagna le continent au moment de l’invention de l’imprimerie, ouvrant la possibilité de diffusion générale des écrits : l’Humanisme.
 
I   -   Le Grand schisme d’Occident  (1378 – 1417) avait vu  pendant une quarantaine d’années,  deux papes et parfois trois ou quatre, à la tête de la chrétienté. Les uns, choisis par les cardinaux français, résidaient à Avignon, les autres, nommés par la curie romaine résidaient à Rome.
 
Il y eut ainsi successivement à Avignon :  Clément V (1305-1314), Urbain V (1362-1370), Grégoire XI (1370-1378), Clément VII (1378-1394 ).  A Rome :  Clément VI (1342-1352),   Urbain VI (1378-1389) , Boniface IX (1389-1404).
 
Le prestige et le pouvoir du Saint-Siège en furent considérablement affaiblis.
 
En revanche, ce  furent les conciles qui  s’efforcèrent de  réformer et réunifier l’Eglise.
 
Le Concile de Pise (1409), se donna pour tâche de mettre fin au schisme ainsi qu’à l’absolutisme papal, sous l’influence du chancelier de l’université de Paris, Pierre d’Ailly et de ses deux traités :  « De l’unité de l’Eglise »,  et : « Du pouvoir de déposer les papes ». ( 1 ).  Ce concile de réforme ( 2 ) voulait mettre fin avant tout aux abus de la curie romaine.  Les papes réfractaires au concile, Grégoire XII (1406-1415)  et Benoit XIII (1414-1417) déclarés coupables d’hérésie et de schisme, furent déposés. Les cardinaux nommèrent comme seul pape légitime l’archevêque de Milan, sous le nom d’Alexandre V   ( 3 ).
 
Mais les deux papes déposés avaient de puissants soutiens en Espagne et en Ecosse, pour  Benoit XIII , à Rome et à Naples pour Grégoire XII.  Ils furent maintenus de fait. Il en résulta que le concile de Pise fit choux blanc, et qu’il y eut à présent trois papes à la tête de l’Eglise :   Alexandre V, le pape légitime, Benoit XIII et Grégoire XII.
 
Un nouveau concile fut préparé.  Cependant Alexandre V mourut et fut remplacé par un des papes les plus indignes de l’histoire : Jean XXIII  (1414-1417).
 
Le nouveau concile s’ouvrit le 5 novembre 1414 à Constance et devait siéger jusqu’en 1417 ( 4 ).  Ce concile demanda la démission des trois papes.  Jean XXIII, qui s’enfuit, fut rattrapé par les troupes de l’empereur d’Allemagne et enfermé au château de Gotleben où, en même temps, Jan Hus était prisonnier.  Grégoire XII abdiqua sans résistance, mais Benoit XIII, pourtant âgé de quatre -vingt- dix ans, refusa de se soumettre au concile et fut tenu sous bonne garde dans un château espagnol. Le concile de Constance élit en novembre 1417 comme seul pape légitime Martin V (1417-1431)  un cardinal romain.  C’était apparemment la fin du grand schisme d’Occident.
 
Le concile de Constance, qui devait aussi condamner Jan Hus au bûcher, fit valoir sa supériorité sur le pouvoir pontifical en déclarant que tout concile général détient son autorité du Christ et doit être obéi, tous dans ses décrets, par le pontife romain.  Ce  fut une nouvelle cause de division. Car si les Etats du nord de l’Europe : Angleterre, Allemagne et France, soutenaient cette proposition, les Italiens et les Espagnols étaient contre.  Déjà s’esquissait, sauf pour la France qui allait changer de camp et revenir à l’obéissance, les principales lignes de la Réforme protestante, un siècle plus tard.
 
Un nouveau concile, réuni à Bâle en 1431, remit en cause l’unité péniblement retrouvée ( 5 ). Il réussit à imposer au pape Eugène IV (1431-1447) réticent, ses décrets contre les abus de pouvoir du St Siège, notamment ses importants trafics d’argent.  Finalement, le concile de Bâle déposa le pape en l’accusant d’hérésie et ce fut le duc de Savoie qui devint pape sous le nom de Félix V (1439-1449).  Or, la déposition par le concile du pape Eugène IV n’étant canoniquement pas légitime, on se trouvait de nouveau avec deux papes en présence, jusqu’à la mort d’Eugène en 1448.  Le conclave élit alors un nouveau pape en la personne de Nicolas V (1447-1455), tandis que Félix V, auquel on promit d’importants honneurs et évêchés, consentit à se retirer.
 
Mais Nicolas V, une fois élu, s’employa à révoquer toutes les décisions du concile de Bâle, et oublia vite ses promesses de réforme.
 
Ainsi, les conciles prononçaient des mesures nouvelles, mais les papes ne les appliquaient pas. D’autant moins que les empereurs d’Allemagne, recherchant les bonnes grâces de Rome,  se faisaient conciliants. Ainsi, l’empereur Frédéric III conclut-il  avec Nicolas V, en 1448, un concordat à Vienne , qui donnait raison au pape contre le concile de Bâle.
 
Les pères conciliaires ne se tinrent pas pour battus, et convoquèrent, en 1459, un concile à Mantoue ( 6 ).  Pie II (1458-1464) élevé à la papauté, proclama par décret hérétiques les conciles de Constance (1415) et de Bâle (1431).  Il fit pression également sur le roi de France, Louis XI,  pour lui faire révoquer la Pragmatique Sanction  (  7  ) sur laquelle s’était appuyé le concile de Bâle.  Les cardinaux qui nommèrent Paul II (1464-1471), successeur  de Pie II, promirent de convoquer un concile tous les trois ans ; mais le nouveau pape, une fois élu, révoqua cette décision.
 
Au début du XVIe siècle, voici Jules II  (1503-1513). Son despotisme souleva contre lui le roi de France Louis XII ainsi que l’empereur Maximilien d’Allemagne.  Ce dernier finit par se réconcilier avec Rome. Mais la France ordonna la réunion d’un concile général à Pise, en 1511. Ce concile, qui se transporta successivement à Milan, Asti et à Lyon, finit par se dissoudre  ( 8 ).  Le pape  Jules II, par contre, en réunit un brillamment au Latran  l’année d’après (1512), et fit déclarer anathèmes à la fois le concile de Pise et la France ( 9 ).
 
Le roi François Ier (roi de 1515 à 1547), succédant à Louis XII, signa avec le St Siège un concordat à Bologne le 18 août 1516 ( 10 ), par lequel il se soumettait aux volontés de Rome, et   condamnait de nouveau les résolutions de Constance et de Bâle.
 
L’absolutisme papal triomphait donc, à cinq ans de l’affichage des thèses de Luther. Mais les idées des conciles avaient imprégné l’opinion, notamment au sein des universités. Les conciles restaient pour la chrétienté le dernier recours contre l’autorité du St Siège.
 
La révolte couvait d’autant plus qu’avant Jules II, une série de pontifes corrompus        avaient discrédité la papauté :   Sixte IV  (1471-1484) rétablit l’Inquisition en Espagne, et  fit scandale aussi bien par sa vie débauchée que par son amour de l’argent ;  Innocent  VIII (1484-1492) de même :  il était père de seize enfants adultérins et avait multiplié les bûchers contre la sorcellerie.  Il avait fixé un tarif qui permettait d’acheter le pardon pour tous les péchés, y compris le meurtre.  Suit le pape sans doute le plus dépravé de l’Histoire :  Alexandre VI Borgia  (1498-1513), qui, avec sa fille Lucrèce, réactualisa au Palais pontifical les pires excès de la Rome décadente.  Luther, né en 1483, l’a connu.
 
Au moment où éclate la Réforme protestante, c’est le pape Léon X Médicis (1513-1521)      qui  occupe la chaire de Saint-Pierre . Ce pape de la Renaissance italienne, ne dévie pas, cependant, des pratiques séculaires de la curie romaine.  Et cette fois, ce ne sera plus un concile, ni un souverain, ni un chancelier d’université qui réussira à faire passer le changement,  mais un pauvre moine de l’Ordre de Saint Augustin.
 
Justement, nous achevons cette réflexion en la fête de Saint Augustin,  ce docteur qui a été, avec la Bible, la référence principale de la réforme protestante.
 
Après la réaction conciliaire que nous venons d’exposer, il nous restera, le mois prochain, à parler dans un deuxième temps, des théologiens et des groupes réfractaires  qui s’étaient élevés au bas Moyen-Age contre la papauté et, en troisième lieu il nous faudra évoquer  le courant humaniste et pacifique qui, avec l’invention de l’imprimerie, diffusera non plus la polémique mais l’érudition dans tout le monde chrétien.  Nous verrons alors que la vraie réforme, c’était celle-là.
 
Danielle Vincent.
  
N   O   T   E   S    :
 
 ( 1 )       Petrus de Alliaco, dit Pierre  d’Ailly est né à Compiègne en 351. Il était Bachelier au Collège de Navarre.  Quand éclate le grand schisme d’Occident, il demande la convocation d’un concile général dans une lettre intitulée : Lettre du démon Léviatan.
Il est docteur en théologie en 1381, Grand Maître du Collège de Navarre en 1384, puis aumônier du roi Charles VI.  Le pape Clément VII le nomme Chancelier de l’Université de Paris en 1389. Pourtant, il prend parti pour l’antipape Benoît XIII, installé à Avignon.  Celui-ci le nomme évêque du Puy en 1395, puis évêque de Noyon en 1396, enfin évêque de Cambrai l’année d’après.  Toujours aux côtés des papes illégitimes, il est nommé cardinal par Jean XXIII en 1411, puis légat pontifical en Allemagne deux ans après.  Il soutient la nomination du pape Martin V. Toujours soucieux de l’unité ecclésiale, il accepte la condamnation de Jan Hus.  Martin V l’envoie comme légat pontifical à Avignon, où il meurt le 9 août 1420.
Pierre d’Ailly a laissé une œuvre littéraire importante :  soixante quatorze écrits dont tous ne sont pas encore édités.  Livres, traités, lettres, sermons sur  des sujets philosophiques, théologiques mais aussi scientifiques : il se passionnait pour    l’astronomie.  Il écrivit en 1376-1377 un Commentaire des sentences de Pierre Lombard,  dans lequel il analysait les dogmes de la foi. Ses écrits avaient été interdits un moment par l’Edit de Senlis (1er mars 1474) promulgué par Louis XI, mais cette interdiction fut levée en avril 1481.
Parmi eux :   Tractatus de anima ;  Tractatus de materia concilii generalis ; Tractatus de reformatione Ecclesia, écrits au moment du Grand Schisme, où l’auteur se montre favorable à l’autorité des conciles sur celle des papes, ainsi que le Tractatus de concordantia  theologie et astronomie (1414).
 
( 2 )      Les résolutions du Concile de Pise, déclarées plus tard comme anathèmes, n’ont pas été mentionnées dans  le recueil des symboles, définitions et déclarations  des questions de foi  de l’Eglise  (Henricus Denzinger  & Adolfus Schönmetzer : Enchiridion,  Symbolorum , Definitionum et Declarationum de Rebus Fidei et  Morum. Friburgi Brisgoviae et a., Herder Verlag, 1967, pour notre édition).
 
( 3 )       Alexandre V :   Pierre Phylargis est né en 1340.  D’abord archevêque de Milan en 1402, il est nommé cardinal par Innocent VII, le pape de Rome, en 1405.  Soucieux de réunifier l’Eglise divisée entre  pape et antipape, il  encourage la convocation du concile de Pise,  mais est destitué à ce titre comme archevêque et cardinal par le pape Grégoire XII.   Ce pape sera déposé à son tour par le concile de Pise en 1409, en même temps  que Benoît   XIII, pape à Avignon. Les cardinaux élisent alors Pierre Phylargis, qui prend le nom d’Alexandre V, en 1409.  Il meurt subitement dans la nuit du 3 au 4 mai 1410 : on soupçonne qu’il a été empoisonné par le cardinal Baldassare Cossa, qui revendiquait la chaire de St Pierre, et lui succéda effectivement sous le nom de Jean XXIII.
 
( 4 )      Le concile de Constance, XVIe concile œcuménique, se réunit du 5 février 1414 au 22 avril 1418. Lors des sessions IV et V, il a affirmé la suprématie des conciles sur les papes :  « Ipsa Synodus in Spiritu Sancto congregata légitime, generale concilium faciens, Ecclesiam catholicam militantem repraesentans, potestatem a Christo immediate habet,  qui quilibet cuiuscumque status vel dignitatis, etiam si papalis existat, oboedire tenetur in his quae pertinent ad fidem et exstirpationem dicti schismatis »  (Denzinger, op.cit, p. 315). En session VIII, le 4 mai 1415, le concile dénonça les erreurs de Johannis Wyclif, et en session XV, le 6 juillet 1415, les erreurs de Jan Hus.  Nous traiterons de ces questions doctrinales le mois prochain.
 
( 5 )       Le concile de Bâle, schismatique :  1431-1437.
 
( 6 )       Le concile schismatique de Mantoue   ne figure pas dans le Denzinger ;  par contre la bulle du pape Pie II :  « Exsecrabilis » du 18 janvier 1460, qui le condamne, est mentionnée,   avec l’appel à la convocation d’un concile général (op.cit. p. 344-345).
 
( 7 )       La Pragmatique Sanction de Bourges (7 juillet 1438) ;
Le 7 juillet 1438, le roi Charles VII publie à Bourges la Pragmatique Sanction qui doit régir les relations entre l’Eglise gallicane et le pape.   Ce texte souvent remanié, n’avait été appliqué qu’imparfaitement jusqu’au Concordat de Bologne de 1516.  Il conférait à la monarchie une certaine autorité par rapport au St Siège. Ainsi, l’administration des diocèses et abbayes était ôtée à celui-ci, auquel il ne restait que ce qui relevait de la foi. Le pape n’avait plus droit de nommer les évêques, ni les abbés. Les évêques  devaient être désormais élus par les chanoines cathédraux,  et les abbés  par leurs religieux. Les recettes annuelles que les nouveaux évêques et abbés devaient verser au St Siège étaient supprimées.  Le roi pouvait s’immiscer dans les élections et imposer un candidat de son choix. Il pouvait également s’approprier les revenus des diocèses et des monastères. C’est ce qu’on a appelé  le  « gallicanisme ».
 
( 8 )      Ce concile n’est pas mentionné dans le recueil mentionné ci-dessus. Sous le nom de Jules II n’apparaît que le concile du Latran de 1512.
 
( 9 )       le concile du Latran, XVIIIe concile œcuménique, se réunit du 3 mai 1512 au 16 mars 1513, sous le pontificat de Jules II (1503-1513), alors que Louis XII est roi de France et essaie de se réconcilier avec Rome.  (Denz. Op.cit. p. 353).
 
( 10 )      Le Concordat de Bologne  du 18 août 1516 , a été signé lors du Ve Concile du Latran, sous le pontificat de Léon X (1513-1521). Le représentant du roi François Ier était le chancelier Antoine Duprat. Ce concordat était un compromis qui abrogeait en partie les articles de la Pragmatique Sanction :  le pape reconnaît au roi de France le droit de nommer les titulaires des évêchés et des abbayes, conservant pour lui le pouvoir de conférer l’investiture spirituelle. Le roi conserve les bénéfices de cent cinquante évêchés et archevêchés, ainsi que de cinq cent abbayes et prieurés. P           ar contre, le roi de France ne peut imposer un candidat au St Siège, ni s’immiscer dans un concile.  Le Concordat de Bologne sera abrogé à la Révolution française par la Constitution civile du clergé, le 12 juillet 1790.
 
D.V.
 
L  A    P  H  R  A  S  E   D  U    M  O  I  S  :
 
« Le synode qui est légitimement réuni sous le signe du Saint-Esprit , représente l’Eglise catholique et reçoit son pouvoir immédiatement du Christ :  le pape  est tenu de lui obéir ».
                                                                Concile œcuménique de Constance   (1414-1418).
 
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Directrice de publication : Danielle Vincent.
Mise en page et impression :  Zapa Informatique.
ISSN :  2650-67225.
Dépôt légal :  3e trimestre 2024.